25 juillet 1921, Hold-up meurtrier dans un train près de Chagny

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Circonstances de l’agression

- Le 25 juillet 1921, trois malfaiteurs attaquent nuitamment les rapide n°5 de Paris à Nice. Le coup est réalisé avec une audace incroyable mais se solde par la mort d'un jeune élève officier. L'affaire va passionner le grand public durant plusieurs jours à la manière d'un feuilleton. Feuilleton que se terminera tragiquement par la mort de deux des malfrats et d'un inspecteur de police.


  • DES BANDITS MASQUES ATTAQUENT LE RAPIDE DE NICE.

Ils dépouillent les voyageurs, et tuent l’un d’eux, qui résistait.

Un attentat qui dénote une audace peu commune de la part de ses auteurs, a été commis cette nuit, en chemin de fer, sur la grande ligne Marseille-Paris, près de Chagny. Des bandits masqués ont brusquement surgi dans une voiture de 1re classe du train 5, et revolver au poing, ont rançonné les voyageurs; L’un d’eux, un élève de l’École Polytechnique, qui refusa d’obtempérer à l’ordre de vider ses poches, fut tué net par les bandits.

Haut les mains ! Il était près de deux heures. Les voyageurs de la voiture de 1er classe,du train 5, précédant immédiatement le fourgon de queue, dormaient paisiblement. Brusquement, les portières furent ouvertes, les lumières dévoilées, et, dans le couloir du wagon, trois hommes masqués apparurent, revolver au poing : "Haut les mains !", crièrent-ils. Les voyageurs, terrorisés, obéirent. Des femmes sa trouvèrent mal. Un tumulte suivit, "Videz vos poches !", ordonnèrent les bandits. Le meurtre.

Les voyageurs s’exécutèrent. Cependant, l’un d’eux, M. Max Carabellis, élève à l’École Polytechnique, habitant 18, rue Lhomond, à Paris, refusa d’obéir et menaça d’actionner le signal d’alarme. Alors les bandits, craignant qu’il ne mît sa menace à exécution et voyant, au sur plus, que M. Carabellis était le seul à protester, l’abattirent, à coups de revolver. Puis, ayant raflé argent et bijoux, ils actionnèrent eux-mêmes le signal d’alarme. Le train ralentit aussitôt. La gare de Chagny était proche. Les bandits, tranquillement, ouvrirent les portières dé sortie à contre-voie. Lorsque la vitesse fut suffisamment réduite, pendant que l’un d’eux braquait toujours son arme dans le couloir, les deux premiers limitèrent. Puis, rapidement, le dernier s’enfuit à son tour.

L’enquête. Le rapide était alors à environ un kilomètre et demi de la gare de Chagny. Il s’arrêta. Le chef de train pénétra dans le wagon assailli, et découvrit le cadavre du polytechnicien entouré des voyageurs affolés. Aussitôt prévenus par la gare de Chagny, le parquet et la gendarmerie se mirent en campagne. Jusqu’à présent aucun indice sérieux n’a été découvert. Un voyageur du wagon attaqué prétend que les bandits sont montés en gare de Dijon, mais rien n’est moins certain. La nouvelle de cet attentat a soulevé une émotion considérable parmi les autres voyageurs du train. Les coups de revolver n’ont pas été en tendus par les occupants des autres wagons, ni par le chef de train. L’enquête continue.

Nouveaux détails: D’après des renseignements complémentaires de l’enquête, un deuxième voyageur a voulu se défendre et a été blessé grièvement. Il a été transporté à l’hôpital de Chagny.

Journal L'Intransigeant du 26-7-1921 (Collection BNF-Gallica)


  • Les trois masques, le rouge, le noir et le jaune courent toujours.

L’attentat commis l’avant-dernière nuit par trois bandits masqués dans le rapide Paris-Marseille est le premier de ce genre qu’on ait enregistré sur le vieux Continent jusqu’à présent. En effet, seuls les voyageurs des trains américains avaient eu de ces mauvaises surprises. L'enquête officielle ouverte n’a, jusqu’à présent donné aucun résultat nouveau. Le wagon où s'est déroulée l’audacieuse tragédie est la voiture 17—1—789. Elle a été « différée » à Chagny. Et les scellés ont été apposes sur toutes les ouvertures du wagon. On est étonné que le long hurlement, du sifflet d'alarme n’ait pas amené les voyageurs du train, ainsi que le chef de train et les contrôleurs, soit aux portières du wagon, soit dans le wagon lui-même, par les couloirs de communication. Cette indifférence ne peut ’expliquer que par le fait que tout le monde devait dormir et a confondu le signal d’alarme avec le sifflet ordinaire de la locomotive. Un ingénieur des chemins de fer à qui nous parlions de la sécurité dans les trains nous a répondu : "Les wagons munis de couchette ont seul un surveillant qui passe la nuit dans le wagon. Pour les autres compartiments de première classe il n’y a guère que le contrôleur qui est chargé de faire une ronde de temps en temps, mais il est évident qu'il ne passe pas sa nuit à circuler dans les couloirs. Il se repose parfois. Dans les trains américains, chaque wagon possède un surveillant nègre. Remarquez toutefois que cela n’empêche pas que les attentats de ce genre soient beaucoup plus fréquents en Amérique que chez nous". Dès qu’il a été informé de l’attentat, le ministre des Travaux publics, actuellement retenu, au Havre par la Grande Semaine maritime, s’est fait inscrire au domicile de la malheureuse victime, M. Max Carabelli. Il a en outre donné des ordres immédiats pour que l’on entreprenne l’étude de moyens antes à sauvegarder, davantage la sécurité des voyageurs. On pourrait en effet, soit armer les contrôleurs, soit armer les chefs de trains. L'enquête continue. Ajoutons que M. de Moro-Giafferi député a écrit ce matin, au ministre de la Guerre, pour lui demander que l’on décore à titre posthume, le lieutenant Carabelli, tué dans l’audacieux attentat du rapide de Paris-Marseille. Le député de la Corse demande, d’autre part, que le capitaine Morel, du 35e d’aviation, qui a assisté à cet assassinat sans prêter main-forte au lieutenant Carabelli, soit traduit devant une commission d’enquête.

Le récit du capitaine Morel. Lyon, 26 juillet. — M. Morel, capitaine au régiment d’aviation à Lyon, était dans le compartiment même du malheureux lieutenant Carabelli. Voici le récit qu’il a l'ait du crime : Depuis Paris, le lieutenant Carabelli, que je ne connaissais pas d’ailleurs, et moi, occupions à nous seuls un compartiment de la dernière voiture. Nous dormions en face l’un de l’autre lorsque noms fûmes éveillés par le cri de : « Haut les mains !».“ Un homme d’un mètre 55 environ, plutôt râblé, le visage caché par un loup noir prolongé d’une dentelle dé pareille couleur et la tête coiffée d’une étole noire était devant nous, un pied sur chaque banquette, un revolver dans chaque main. « Haut les mains ! répétait-il. Vos portefeuilles. » Mon voisin, le lieutenant Carabelli saisit les mains du bandit, mais un deuxième individu masqué de jaune et un peu plus petit de taille apparut brusquement et donna un coup de couteau sur le bras de mon camarade, lui faisant lâcher prise. De sa main devenue libre, le malfaiteur fit feu sur le courageux officier en lui disant : « Tu payes pour la Société qui est mal faite«. L’autre revolver me tenait en respect. Le troisième bandit masqué dé rouge faisait le guet dans le couloir. Je n’avais pas d’arme. Que faire? Je remis son portefeuille ou plutôt l’un de mes deux portefeuilles, le moins chargé, en billets de banque naturellement. Les bandits avant disparu, je me dirigeai vers le fourgon de queue dans l’intention de chercher un revolver auprès du chef de train. Je n’en eu pas le temps. Le temps stoppa. Je vis les trois hommes sauter sur le ballast et s’enfuir au pas gymnastique. En passant près de moi, ils me dirent quelques mots que je ne compris pas. Entre temps, j’avais prié un élève de l’École de Santé d’aller donner ses soins au lieutenant Carabelli qui ràlait dans notre compartiment.

Journal L'Intransigeant du 27-7-1921 (Collection BNF-Gallica)


  • NOS ÉCHOS - ON DIT QUE.

Comme s’il ne suffisait plus des tamponnements, déraillements ou ruptures d’attelage pour nous rendre un peu craintifs chaque fois que nous montons dans un wagon, voici que des bandits masqués considèrent les couloirs comme leur domaine et viennent rançonner les voyageurs des compartiments comme les voleurs de grands chemins faisaient de ceux des diligences. Jamais. Les malfaiteurs n’ont été aussi audacieux, disent certains. depuis la guerre... La guerre a bon dos, si l’on peut ainsi s’exprimer. Hélas si l'audace des Mandrin et des Cartouche, l'effroyable sang-froid des Garnier et des Bonnot sont là pour nous faire souvenir que les bandits résolus ont toujours eu une hardiesse d’autan plus grande que la police était plus impuissante à les mâter. L’impunité des cambrioleurs de la bijouterie du boulevard Saint-Martin a plus fait pour encourager les bandits du train de Nice dans leur tentative que tout autre sentiment, ou toute autre considération. C’est pourquoi il faut à fout prix que ces misérables soient retrouvés. Ce qui frappe l’esprit, tout de suite, la première réflexion que l’on fait, c’est : — Comment trois hommes, même armés, peuvent-ils,se rendre maîtres d’un wagon entier, en somme, sans que les occupants protestent, se défendent, tirent le signal d’alarme? D'abord il est prouvé que tout le monde dormait, que les voyageurs du compartiment voisin n’entendaient pas ce qui se passait à côté d'eux. Ensuite, il y avait trois revolvers braqués. D’où un phénomène de peur collective bien compréhensible, et sur quoi les bandits avaient compté. Le seul qui ne voulut pas se laisser faire, dont la réaction instinctive et courageuse menaça un instant les malfaiteurs, fut ce pauvre lieutenant Max Carabelli, qui paya de sa vie son courage... Tout de même, et malgré la tristesse de cet assassinat, on éprouve quelque soulagement à penser qu’il y a eu quelqu’un qui a résisté et qu’il eût suffi peut-être d'un peu de chance pour que. son exemple fût suivi et que les misérables fussent, pris. Comment éviter le retour d’un pareil attentat? En établissant un sérieux service de ronde dans lés wagons. Ce n'est pas d’aujourd'hui que ceux qui voyagent savent que généralement nul ne veille sur eux. Il est même étonnant que do pareilles aventures ne soient pas plus fréquentes. Pour quelqu’un qui connaît une ligne, qui sait où le convoi ralentit sa marche, où la vitesse est si grande que le bruit couvre celui des voix, rien n’est plus aisé que de s’introduire dans un train où l’on est assuré, en pleine nuit, de n’être dérangé par personne. Ce n’est quand même pas la femme préposée au nettoyage où aux menus services qui peut être de quelque utilité. Une surveillance sérieuse, bien organisée et nombreuse peut seule apporter la sécurité à laquelle ont droit les voyageurs.

Journal L'Intransigeant du 27-7-1921 (Collection BNF-Gallica)

L'enquête, la traque.

  • Les hommes masqués du train 5 sont, croit-on, des étrangers. On décide d’armer le personnel des chemins de fer.

Les bandits masqués courent toujours. Quoi qu’on ait bon espoir, à la Sûreté générale, on ne nous cache pas la difficulté des recherches. Les inspecteurs partis dans les différentes directions, ont recueilli des indices intéressants certes, mais on ne saurait parler d’une piste sûre. Toute la journée d’hier et ce matin, les inspecteur de la sûreté générale, ont poursuivi à Chagny et à Dijon une enquête minutieuse relative à l'attentat du train 5. Il ressort de cette enquête les meilleurs résultats jusqu’ici. Tout d’abord la découverte derrière le cimetière de Nolay, des débris des portefeuilles volés par les bandits masqués et de différents effets notamment, d’un pantalon, d’un imperméable en gabardine ayant sûrement appartenu aux bandits. L’enquête a, de plus, réussi-à établir leurs signalements. Le premier mesure environ 1 m 70 et est âgé de 25 à 28 ans. Il porte une moustache noire taillée à l'américaine. Il est de corpulence, moyenne et vêtu d'habits foncés. Le deuxième mesure environ 1 m 67. II a de 25 à 30 ans et a, lui aussi, une moustache brune ; son teint est mat et son visage maigre. Il est vêtu d’un veston beige et d’un pantalon foncé. Enfin, le troisième ne mesure que 1 mètre 63, a les cheveux noirs, porte la moustache à l’américaine et est d’une forte corpulence. M. Euvrard, du service, de l'identité judiciaire de Paris, a relevé dans le wagon de nombreuses empreintes semblant présenter un certain intérêt. Ces empreintes seront examinées tout particulièrement au service d’identité judiciaire. Tout ce qu’on croit savoir sur l’identité des bandits c’est que ce sont des étrangers qui doivent faire partie d’une bande internationale. Le coup qu’ils viennent de réussir à été très bien monté. 11 rappelle l’attentat similaire commis dans un wagon-poste, dans les derniers mois de la guerre, dans les mêmes parages, sur la même ligne. Ce matin, un inspecteur du service des recherches est parti interroger un voyageur, M. M---. habitant.la Croix-de-Berny. Celui-ci. affirme avoir fait le voyage de Charny à Montargis en compagnie des bandits. Si l’enquête confirme le fait, il se pourrait, que des renseignements précieux soient ainsi recueillis qui aideraient la iustice.

Le récit d’une voyageuse.

Marseille, 26 juillet. Au sujet de l’attaque du rapide Paris-Marseille, l’une des victimes, Mme Joppart, qui habite Marseille, a fait le récit suivant. Elle rentrait de voir ses parents en Belgique et se trouvait dans le compartiment de première classe avec MM. Max Carabelli et André Turchini. A 10 heures du soir, M. Carabelli alla s’endormir dans le compartiment voisin. Mme Joppart sommeillait quand brusquement- quelqu’un releva, le capuchon de la lampe. La brusque clarté la réveilla. Un individu masqué, dit-elle, armé d’un revolver et d’un poignard était sur moi, un autre masqué d’un loup noir tenait M. Turchini en respect et lui prenait 1.500 francs tandis que le premier enlevait mon portefeuille, puis nous entendîmes un coup de feu et la voix de M. Carabelli qui criait au secours. M. Turchini s'élança à son secours. Le docteur Morucci arrivait ensuite. Je sus bientôt, que les bandits avaient dépouillé deux Espagnols, MM. Maxime Nunez de Prado, père et fils qui se rendaient à Marseille pour un procès et auxquels ils avaient dérobé 30.000 francs en billets et 10.000 de bijoux au père et 125 livres -u fils. MM. Prado étaient accompagnés d’un avocat appartenant au barreau de Paris. Les bandits obligèrent ensuite M. de Prado père, à tirer le signal d’alarme, ce qui provoqua l’arrêt du train et permit leur fuite, dans la nuit.

Les contrôleurs et chefs de trains seront armés.

Nous croyons savoir que les Compagnies de chemins de fer ont décidé que les contrôleurs, surveillants et chefs de trains seraient armés. Des armes leur seraient remises aujourd’hui même.

Journal L'Intransigeant du 27-7-1921 (Collection BNF-Gallica)


  • NOS ÉCHOS - ON DIT QUE.

L'affaire du rapide de Nice, entre maintenant dans la période policière. Et nous suivons, comme dans un roman, l’étonnante reconstitution des allées et venues des bandits, cette découverte, bribes par bribes, de leur itinéraire, ces dépositions, contradictoires de témoins d’où l’on arrive pourtant à dégager un peu de vérité. Nous plaisantons volontiers notre police. Nous voudrions que le moindre inspecteur fût un Sherlock Holmes. I1 n’en a pas toujours les moyens. Mais tout de même, ceux qui nous défendent font preuve et ils le prouvent en ce moment d’une célérité et d’une adresse qui méritent mieux que nos railleries faciles. Et c’est le plus pauvre des voyageurs, le malheureux lieutenant Carabelli, qui eut le plus d'audace. Il n'avait sur lui que 15 fr. 55. A qui feriez-vous croire, pourtant, que dans ces premières classes luxueuses, il y a des voyageurs qui n’ont pas 20 francs dans leur porte-monnaie ?

Journal L'Intransigeant du 28-7-1921 (Collection BNF-Gallica)


Avez vous vu les bandits?

Pistes perdues ; pistes retrouvées..» L’enquête continue au sujet de l'attaque des voyageurs du train 5. Elle ne fait pas de progrès. A la Sûreté générale, on déclarait, ce matin, qu’il n’y a aucun fait nouveau à ajouter. Cette difficulté à retrouver la trace des bandits masques peut s’expliquer par la lenteur qu’on a mis à informer la Sûreté générale du crime qui avait, été commis. En effet, l’attentat, qui s’est produit avant deux heures du matin, n’a été connu que le matin à onze heures, par une dépêche envoyée de Dijon à la Sûreté générale ! Les constatations judiciaires continuent.

Grec ou Espagnol ?

Un de nos lecteurs de Marseille, qui voyageait dans le train 5, nous donne les renseignements suivants qui confirment ceux qui ont été recueillis par l’enquête faite à Marseille et y ajoutent des éléments nouveaux. Je crois pouvoir vous donner un détail qui a pu échapper aux enquêteurs. J’ai pris, en compagnie de ma femme, le train n° 5 et loué dans le wagon n°4, les places 31 et 34. Le contrôleur nous ayant fait remarquer que ces places se trouvaient sur les roues, nous proposa de nous placer au milieu du wagon. Nous changeâmes donc de compartiment et nous voici dans le wagon n° 7 aux places 19 et 22. Aussitôt en place, ma femme me fit remarquer l’allure suspecte d’un voyageur qui se tenait dans le couloir et qui paraissait surveiller le va-et-vient du contrôleur de service. Je me rendis compte que le voyageur suspect occupait dans le même wagon que le nôtre la place 11 et je puis préciser qu’il n’avait, comme bagages, qu’un petit paquet enveloppé d’un journal. Ce même compartiment a été, après l’attentat, occupé par les victimes et un médecin-major à deux galons. Celui-ci, en ma présence a trouvé un couteau-à cran d'arrêt ouvert mesurant environ vingt centimètres. C’est alors que je m’aperçus de la disparition du voyageur suspect et qui me paraît être le troisième individu désigné par le député Morucci dans sa déposition. Mes souvenirs sont précis et voici le signalement exact du voyageur : Taille 1 m 70, petite moustache brune, cheveux noirs et assez longs, costume noir, doit être grec ou espagnol et âgé de 35 ans environ. Si le couteau trouvé par le médecin-major était, rendu à la commission d’enquête, peut-être apporterait-il un élément nouveau d’information. Ce couteau avait comme marque de fabrique l’effigie du maréchal Joffre.

Journal L'Intransigeant du 29-7-1921 (Collection BNF-Gallica)


On a vu les trois bandits dans un hôtel de Montmartre.

On s'est demandé pendant quelques jours si les bandits masqués avaient, rejoint la capitale on s’étaient dispersés dans des directions différentes après leur attentat du train 5, On ai la certitude, aujourd’hui qu'ils avaient regagné Paris dès mardi, puisque ce même jour, une personne les a reçus dans un hôtel du boulevard de Clichy. En effet, dans la soirée de mardi, une femme de mœurs légères, qui habite eu garni dans un hôtel du boulevard de Clichy, se trouvait dans sa chambre avec son ami, un chauffeur. Leur tête-à-tête fut interrompu par la brusque arrivée dans la chambre des trois bandits du train 5. L’un d’eux portait à une main des marques visibles provenant d’une blessure: antérieure au dernier attentat : un autre, qui a été blessé aux mains, soit au cours de sa lutte avec le sous-lieutenant Carabelli, soit en descendant du train en marche, portait des gants gris pour dissimuler ses-blessures. Ce renseignement de gants gris est confirmé par le témoignage du docteur Orvadia, habitant Le Caire, et qui voyagea dans le même compartiment que les trois bandits, lundi dernier, de Nevers à Paris : « — Un,des bandits au teint mat, assez maigre de figure, gardait aux mains, qu’il s’efforçait de dissimuler continuellement sous son veston, des gants gris. Il ne devait pas les quitter de toute la durée du voyage, pas même pour manger des oranges que l'un de ses compagnons, avait achetées en gare de Cosne ». Loin ds paraître émus les trois bandits étaient, d’un calme parfait. Ils avaient si peu le souci d'être traqués par la police qu'ils demandèrent au chauffeur présent dans la chambre «s'il pourrait dans quelques jours conduire une automobile avec laquelle ils se proposaient de faire un nouveau coup ». Les bandits, d'ailleurs, sont serrés de près par la police et l'on espère, d’ici peu, une arrestation.

Les bandits sont-ils encore à Paris ?

Deux hypothèses se présentent : 1° Les bandits sont-ils restés à Paris ? 2° Les bandits ont-ils quitté la ville le lendemain même du vol ? - La -première,, sans doute, est la bonne. D’après des renseignements obtenus ce matin à la première heure, il semble évident que deux au moins des individus recherchés n’ont pu quitter Paris, ils seraient restés en possession de l’argent dérobé au cours du raid. Le troisième aurait pu s’en aller rapidement avec les bijoux pour en faire la liquidation sur un marché étranger. Mais il était nécessaire pour cela qu’il partît sans le moindre retard, c’est ce qu’il nous, semble ne pas avoir fait. De toute façon, un dénouement rapide de l’affaire des bandits masqués n’est pas impossible.

Le commissaire indifférent. Lorsque le docteur Ovadia, en arrivant à Paris, l’après-midi à 15 heures, apprit l’attentat en lisant l'Intransigeant et que, pris de soupçons contre ses compagnons de route, il se présenta au commissariat de police le plus proche de son hôtel, il fut éconduit par le personnel du poste qui lui déclara : « Cette affaire ne nous, regarde pas, adressez-vous à la sûreté générale ! » Pendant ce temps, les bandits, descendus à Villeneuve-Saint-Georges, prenaient, à 16 h. 40, une autre train pour Charenton, où ils débarquaient à 17 h. 9. Ils gagnèrent ensuite Paris par le tramway de la Bastille.

Journal L'Intransigeant du 30-7-1921 (Collection BNF-Gallica)


Le dénouement

A BANDITS DE RAPIDE POLICE EXPRESS. DEUX BANDITS SONT TUES, LE TROISIÈME ARRÊTE. Une bataille à coup de révolver avenue de Wagram.

L’un des bandits du train 5 est arrêté. Les deux autres sont tués. Deux individus répondant, exactement au signalement des bandits du rapide n° 5, étaient attablés ce matin vers midi et demi au Café Blanc qui fait le coin de l’avenue de Wagram et du faubourg Saint-Honoré. La préfecture de police, prévenue, dépêcha immédiatement sur les lieux des inspecteurs en civil qui, au nombre de cinq, prirent les consommateurs en surveillance. Les deux individus, se sentant surveillés, se levèrent. Les inspecteurs ayant voulu les appréhender, les deux hommes sortirent leurs revolvers et firent feu sur lès inspecteurs, qui ripostèrent. Au cours de la lutte, une balle a atteint L'inspecteur Curnier, qui a été grièvement blessé au ventre. Les deux bandits, atteints plusieurs fois, furent, tués. Le corps de l’un d'eux porte les traces de dix balles. Transporté à Beaujon, où il a été immédiatement admis, l'inspecteur Curnier est dans un état grave. Les corps des deux bandits ont été chargés dans un taxi et transportés à la police judiciaire. L’un des bandits à été tué d'une balle à la tète.

Celui de ce matin.

la Sûreté générale a pu identifier le bandit, arrêté. Il s'agit d’un nommé Ménélas Jacques Charrier, âgé de 26 ans, originaire de Marseille, étudiant en médecine, condamné déjà à Montpellier. Il avait été arrêté ce matin dans un hôtel de Montmartre sans résistance et avait été emmené au service de la police judiciaire.

Comment on les a eus.

Questionné habilement par les inspecteurs, il avait décidé, après; quelques réticences, de fournir, quelques renseignements concernant ses complices. On sut ainsi que les deux individus qui étaient avec lui dans le rapide, étaient les nommes Thomas, déjà condamné 5 fois pour divers méfaits, et Bertrand Charrier déclara que ces individus avaient rendez-vous avec lui dans un café, de Montmartre. Les policiers immédiatement se rendirent à ce café, mais après une surveillance d’une demi-heure ils durent se retirer. Les deux bandits, peut-être inquiétés par une indiscrétion, ne s‘étaient pas présentés. A la Sûreté, Charrier déclara en outre que ses complices avaient l'habitude de prendre leurs repas dans trois restaurants qu’il désigna. C’est ainsi qu’à midi 1/4, la Sûreté après avoir visité sans résultat un restaurant de Montmartre et un restaurant proche de la rue de Courcelles, se dirigea vers un restaurant-café peint en blanc et situé exactement, à l’angle de l'avenue de Wagram et du faubourg Saint-Honoré. Les inspecteurs aperçurent les deux individus, dont, ils possédaient une photographie et le signalement complet, car à l'anthropométrie, le matin, on avait recueilli de précieux renseignements sur les fiches de ces deux individus déjà condamnés. Les policiers, rapidement, se présentèrent à la terrasse de l'établissement, où Thomas et Bertrand prenaient l'apéritif. « Haut les mains ! Police ! » dirent les inspecteurs. Thomas se leva rapidement, armé de son browning, qu'il avait mis dans la poche de son pantalon et, à bout portant, fit feu. On Attend l'arrivée du docteur Paul, médecin légiste, désigné par le Parquet, qui 1'examinera les cadavres des deux bandits.

L’inspecteur blessé.

A la dernière minute, nous avons demandé à l'hôpital Beaujon des nouvelles de l'inspecteur Curnier. L'inspecteur, dont l'état est très grave, subissait une opération. On espère néanmoins le sauver.

Une belle filature

Nous avons dit hier que les bandits du train 5 avaient été vus à Paris, dans un hôtel de Montmartre, dès mardi soir. Nous aurions pu d’ailleurs ajouter autre chose. Mais nous estimions que le devoir de la grande presse est de ne pas entraver la tâche de la police, dans des circonstances aussi difficiles. Voilà pourquoi nous nous tenions dans une réserve nécessaire. On sait que la Sûreté générale fut avertie de l’attentat du train 5 dix heure après qu’il se fut produit. Ce retard permit aux bandits de regagner tranquillement Paris. Mais dès qu’on eut la certitude que le trio s’était réfugié dans la capitale, la police parisienne, entra en campagne. En très, peu de temps les inspecteurs, de M. Leullier débrouillèrent l’écheveau des fausses pistes et s’aiguillèrent sur la bonne.

Ce qui est évident...

Dans le cas du coup de main effectué sur le rapide n° 5, il y a un fait évident, c’est que les bandits ont attendu Paris pour se séparer. Jusqu’à leur descente dans le quartier de la Nation, ils sont demeurés, groupés. Pourquoi ? Car la prudence leur commandait de se séparer. S’ils sont restés ensemble, c’est qu’une raison leur interdisait de faire autrement ou encore, que fatigués, inquiets, ils aient abandonné le plan prémédité d’avance. Mais, si l’on en juge d’après les renseignements du docteur Orvadia et les témoignages recueillis ailleurs, il est infiniment probable que les malfaiteurs ont fait leur expédition sans avoir d'argent d'avance, ou du moins, n’ayant qu’une somme qui leur permettait juste de couvrir les frais de l’expédition. Le coup fait, ils eurent pour eux le, montant du vol mais, soit par crainte, soit pour ne pas le diviser l’argent resta en les les mains d’un seul individu qui paya partout, et essaya de réduire les frais au strict, minimum. Donc, jusqu’à Paris ilsrestèrent groupés et ce n’est qu’en suite qu’ils s’occupèrent, de se disséminer.

Casquettes ou chapeaux de paille...

Il y a dans le signalement des individus remarqués entre Montargis et Paris quelques fléchissements, les témoins ne sont pas d’accord. Les uns les ont vus coiffés de chapeaux de paille et les autres coiffés de casquettes. Lesquels ont raison? Les deux sans doute. Les bandits, qui n’avaient pas avec eux de vêtements de rechange, ont cru faire effet en changeant de coiffure. Des recherches sont actuellement faites pour savoir si aucun chapelier n’a été visité par eux dans les localités qu’ils ont traversées. Du,reste ils, ont pu avoir avec eux deux sortes de coiffures.

L’homme aux gants gris.

Un des voyageurs suspects du train Nevers-Montargis resta obstinément ganté de gris pendant le voyage, n’enlevant même pas ses gants pour manger. Pourquoi ? Portait-il une blessure ou ses mains sont-elles suffisamment caractéristiques pour le faire, dénoncer? La tenue n’indiquait pas un homme accoutumé à porter des gants d'une façon permanente. Si l’on S'arrête, à l’hypothèse de la blessure, on peut remarquer que lors d’un récent cambriolage « à la dure » fait par trois malfaiteurs, dans des conditions d’audace extrême, un des cambrioleurs reçut sur les doigts un violent coup de barre d'acier qui doit encore être marqué. Cet homme n’a pas encore été arrêté. On perdit sa trace voilà 9 ou 10 jours, dans Paris même. N’est-ce pas l’homme aux gants gris du rapide ?

A Paris.

C’est à Paris que la trace des bandits se retrouve. Il est certain qu’ils ont couché quelque part et les témoignages de ceux qui croient les avoir vus dans, un hôtel, ne sont pas aussi absurdes qu’on peut, le prétendre. La meilleure preuve est que c’est une de ces pistes qui a mené la police parisienne au but. Les malfaiteurs s’étaient finalement séparés. L’un d'eux était pris. La police avait prié les journaux de ne pas le divulguer encore. Elle voulait prendre les autres, et elle les a. Et pour ces autres, justice est déjàfaite.

A la Sûreté.

A la Sûreté, à midi, on ne savait rien.

Journal L'Intransigeant du 31-7-1921 (Collection BNF-Gallica)

L'épilogue

  • L’INSPECTEUR CURNIER EST MORT. M. Ducrocq, directeur de la police judiciaire, nous dit : « C’est à L'Intransigeant que nous devons la capture des bandits ».

L’inspecteur Gaston Curnier qui hier, reçut une balle clans le ventre par l’un des bandits, devait ce matin même prendre son congé annuel et rejoindre sa femme et son enfant dans les environs de Marseille. L'inspecteur avait passé une très mauvaise nuit et ce matin, son état était désespéré. Vers onze heures et demie ce matin, M. Ducroq, directeur de la police judiciaire, apprenait avec émotion la mort de l’inspecteur Curnier qui venait de succomber à ses blessures. Hier, la médaille d'or avait été accordée d’urgence à ce brave serviteur. Nous croyons savoir que, dès aujourd’hui, M. Leullier, préfet de police, demandera la Légion d'honneur à titre posthume pour l’inspecteur Curnier, victime du devoir.

La bonne piste.

On connaît le dénouement tragique de l’affaire du train 5. Nos lecteurs ont été informés hier par nos éditions successives de tous les détails de l’affaire. Ce que nous ne pouvions pas dire jusqu’alors pour ne pas gêner l’action des inspecteurs lancés sur la piste des bandits et ce, que personne d’ailleurs n’a dit jusqu’ici, nous pouvons Je dire à présent. En effet, dès mercredi soir, l'Intransigeant était sur la piste vraie des bandits. Aucun doute ne pouvait être permis sur les informations que nous avions recueillies et dont nous donnons les détails plus loin. Cependant, en raison de l’extrême gravité de l’affaire, nous n'avons pas hésité à nous déposséder de nos renseignements au profit de la justice qui seule avait qualité et pouvoir pour utiliser pratiquement ces témoignages. Ce n’est que dans notre numéro de vendredi que nous avons laissé filtrer une partie de la vérité, parce qu’à ce moment-là cela ne pouvait plus gêner l’action de la police. On était, en effet, déjà sur les pas des bandits, que l’on surveillait étroitement. Nous annonçâmes alors que les bandits avaient été vus dans un hôtel de Montmartre dès mardi soir. Or, c’est à partir, de là que les bandits ont été pris en filature. Voici ce qui se passa mardi soir à 7 heures 1/2, dans l’hôtel Léon qui se dresse, boulevard de Clichy en face des cabarets le Ciel et l'Enfer. Ce soir-là, une jeune femme de mœurs légères connue sous le nom d’Odette, qui avait une chambre dans cet hôtel, y recevait son amant et un ami, deux jeunes gens dévoyés, mais issus d’honorables familles L’amant d’Odette avait les mois précédents dépensé 15.000 francs, fruit d’un héritage, en faisant la fête. Ses parents lui coupèrent les vivres ; pour subvenir à son existence le jeune homme devint alors chauffeur d’autobus, à la C G O. L’autre jeune homme, qui était simplement un ami, assistait à cet entretien familier. A un moment donné, les bandits du train 5 entrèrent dans la chambre. Ils venaient retrouver le chauffeur d’autobus. En buvant du vin blanc, ils causèrent de l'expédition qu’ils avaient faite et racontèrent les difficultés qu’ils avaient eues pour rentrer à Paris. Charrier, l’étudiant en médecine, sortit même de sa poche son portefeuille, un petit portefeuille en maroquinerie bourré de billets de banque et le montrant à Odette lui dit : «Si vous voulez de la galette, il ne faut pas vous gêner. ». Il sortit même son revolver de sa poche et le numéro en fut alors relevé. Ce numéro nous le connaissions dès mercredi soir. Les bandits se mirent alors à causer « affaires sérieuses ». Ils demandèrent au chauffeur. G... s’il voulait les aider à voler une Rolls-Royce avec laquelle ils se proposaient de faire sous peu un nouveau coup. On décida de se réunir le lendemain après midi, à la Taverne du Nègre, boulevard Saint-Denis, pour régler les détails de la prochaine expédition. A ce moment, les bandits s’inquiétèrent, de l’autre jeune homme qui avait assisté à la conversation et ayant apprit qu’il n'était pas de la bande, le, menacèrent de mort ainsi qu’Odette et son amant. Puis, après, ils quittèrent l’hôtel. C'est grâce à ces renseignements exacts que la trace des bandits fut retrouvée à Paris. On connait la suite.

Ce que nous dit Ducrocq.

M. Ducrocq, directeur de la police judiciaire a bien voulu nous donner dans ses moindres détails la relation rigoureusement exacte de toute 1'affaire du rapide Paris-Marseille. Le 28 juillet dernier, les renseignements particuliers recueillis par l'Intransigeant nous permettaient de mettre M. Ducrocq sur la bonne piste des bandits, dont on avait perdu la trace depuis Villeneuve-Saint-Georges. Une jeune personne et son ami, habitant, comme nous l’ayons déjà relaté, dans un hôtel, boulevard de Clichy, rencontra, vers le début de la semaine dernière, son ami en compagnie d’un autre individu dans le couloir de l’hôtel. Les trois personnes allèrent prendre une consommation dans une brasserie, face à cet hôtel. Pendant ce temps, l’individu que le premier personnage avait présenté à son amie comme «un ancien, copain des régions libérées », paraissait très inquiet. Le mardi 26, ils reçurent sa visite à leur domicile. L’homme, sortit un pistolet automatique et le garda à portée de sa main. Il devint plus bavard que là fois précédente et raconta quelques détails de l’histoire : L’affaire a été dure, dit-il. En sautant du train, je me suis blessé au genou droit. Quel bénéfice avez-vous retiré de l’expédition? Les journaux ont parlé de 27 000 francs ? Un peu plus, répondit-il après, réflexion"; mais j'aurais cru la chose plus intéressante. Est-ce vous qui avez tiré sur-,l’officier? Qu’est-ce que cela peut vous faire ? D’ailleurs, c’est un imbécile cet officier. Il n’avait qu’à faire comme le major qui était aussi dans le wagon et qui nous a remis les 59 francs qu’il avait sur lui. Nous les lui avons laissés d’ailleurs, parce-qu’il n’avait que ça sur lui ! ». Le bandit, jouant avec son revolver, s'écria ensuite. S’ils viennent nous chercher, nous les descendrons à-coups dé grenades. Le lendemain, le même bandit, que l’on sut par la suite être Charrier, revint à la même maison à 9 h. 30 et annonça son intention de partir dans la nuit même pour l'étranger.

Une filature fructueuse.

Voilà ce que nous savions. M. Ducrocq a tenu ce matin à nous remercier pour l’aide précieuse que l'Intransigeant avait apportée. A la suite de l’enquête qui en résulta, une surveillance avait été établie dans îa rue Cujas, où le bandit en question avait l'habitude de fréquenter un café. On apprit également qu’il avait habité un hôtel de cette rue sous le nom d’André Dujardin. Grâce aux fiches anthropométriques, confrontées avec le signalement fourni sur Dujardin, on identifia le bandit qui s'appelait Jacques Mocislas. Charrier, né le 2 mai 1895, à Paris, dans le cinquième arrondissement, se disant étudiant en médecine, et connu sous le nom de Cabbane, ayant quitté la rue Cujas le 5 juillet. On, apprit en outre qu’un de ses amis, connu sous le nom. de Marcel Brégèere, 29 ans, se disant sculpteur, avait quitté son hôtel le 27 courant. Le signalement de ce dernier correspondait à celui du bandit Bertrand. En fouillant clans les papiers de Brégère, on trouva l’adresse d'un hôtel, rue des Fossés Saint-Jacques. L'hôtelier à qui on montra une photographie, reconnut son client qui n’était autre que Charrier. La police judiciaire donna aussitôt des instructions pour que Charrier soit arrêté. Il, indiqua également les endroits où l'on était susceptible de les rencontrer rué d’Aboukir, place des Ternes, avenue des Champs-Élysées, avenue de Neuilly, rue des Fossés Saint-Jacques. Les inspecteurs Legrand, Vidal, Carrier, Maître et le brigadier-chef Didier, ne tardèrent pas à apercevoir les deux autres bandits dans un café de la place des Ternes. C'était Bertrand Marcel-Jean, né le 5 septembre 1892, à Firbeix (Dordogne) se disant électricien, et Thomas Jules-Francis-Anthelme, né le 2 janvier 18S4, à Chazey (Ain) garçon de calé, logeant ensemble rue de Sablon. Sur ses indications, les inspecteurs Legrand et Curnier s'attablèrent place Wagram,cependant que Didier, Vidal et Maître en surveillaient, les abords. Vers 12 h. 40, les bandits réglèrent leurs consommations et se levèrent, suivis de Curnier et de Legrand.

Le drame.

Arrivés à la hauteur du n° 1 de l'avenue de Wagram, les bandits se retournèrent et sortirent leurs brownings. Les inspecteurs Legrand et Vidal se précipitèrent sur Thomas et le saisirent. Au cours de la lutte, Thomas et l’inspecteur Vidal roulèrent, à terre. Thomas réussit à se dégager et tira plusieurs coups de feu sans atteindre les inspecteurs. Legrand voyant son camarade en danger, n’hésita pas et abattit Thomas. Pendant ce temps, l’inspecteur Curnier, suivi du brigadier-chef Didier, s’était précipité sur Bertrand. Une lutte terrible, se déroula. Bertrand entraîna à terre l’inspecteur Curnier et tira sur lui plusieurs coups de feu. Il l’atteignit malheureusement au ventre. C’est alors que le brigadier-chef Didier tira sur Bertrand et le blessa tandis que l’inspecteur Maître faisant feu à son tour abattait définitivement le bandit.

Le bandit arrêté parle.

Charrier, interrogé à la police judiciaire, a fait des déclarations suivantes : J'ai fait, en mai 1920, déclara-t-il, à la prison de Grenoble, connaissance de Thomas et de Bertrand. J’avais déjà subi quatre condamnation, la dernière à deux ans de prison par la cour d’appel d’Aix, pour escroqueries. Bertrand avait aussi quatre condamnations, la dernière à deux ans, par la cour de Lyon, le 6 mars 1920, pour port d’armes et violence. Thomas, avait sept condamnations, la dernière à 15 mois de prison, le 27 novembre 1919, pour vols. En octobre 1920, je fus envoyé pour tuberculose au sanatorium de La Tronche ou on me remit en liberté en avril 1921, par suite de la loi d'amnistie. Revenu à Paris, j’allai chez Bertrand demeurant rue des Messageries, qui m’avait envoyé de l'argent au cours de mon hospitalisation. Il me remit en relations avec Thomas. Nous cherchions un coup à faire, je gardais rancune à mon ancienne maîtresse Lieutard, demeurant à Marseille, qui m’avait fait condamner et nous décidâmes de nous rendre dans celte ville. J’organisai une sortie avec mon ancienne amie, cependant que mes deux camarades dévalisaient son logement. Ce cambriolage nous rapporta 2.590 francs. Nous revînmes à Paris, où je perdis de vue mes deux camarades. Je les retrouvai le 22 juillet dernier, dans un café du boulevard Saint-Michel. Thomas nous, indiqua le plan de l’attentat que nous devions accomplir dans le rapide Paris-Marseille. Tout d'abord Bertrand et moi, nous n’étions pas de son avis. Nous trouvions l'affairc trop dangereuse, mais Thomas insista en alléguant que la chose était pratiquée. journellement en Amérique : « Les voyageurs sont terrorisés, dit-il ils se laissent toujours faire ». Puis il développa le plan ; 1° Nous choisirions un train de nuit : 2° chacun de nous aurait, un rôle nettement déterminé; 3° nous porterions des masques ; 4° une fois le coup fait, nous quitterions le train dont, nous aurions ralenti la marche en tirant le signal d’alarme. Thomas réussit à nous convaincre. C’est alors que le samedi 23 juillet nous allâmes retenir trois places en première classe pour le train de Lyon. Le 24 juillet,, à 19 h. 55, nous prîmes place séparément dans ce train. Personnellement, j’occupai la place n°16, dans le premier wagon après le fourgon des bagages ; Thomas et Bertrand étaient montés, dons le dernier et avant-dernier wagon précédant le wagon-poste. Nous ne nous rejoignîmes pas avant Dijon. Il était convenu que j’attendrais leur signal. A Dijon, un peu inquiet, de n'avoir rien vu venir, je me rendis au buffet, où je trouvai Thomas et Bertrand. Ils me dirent d’aller les trouver dans leur wagon sitôt Je départ du train. J’y allais et Bertrand, qui m'avait donné à Paris un masque et un revolver automatique, me dit : « (C'est le moment de se maquiller. ». J’entrai dans les water-closets pour mettre mon masque ainsi qu’un calot de bain rouge, tandis que mes camarades mettaient aussi leurs masques à l’autre bout du wagon, près de l’entrée. Je ressortis du, W. C. et pris, ma faction le pistolet à la main, auprès du soufflet du wagon. Mes complices entrèrent alors séparément dans chaque compartiment de la voiture et opérèrent sans être inquiétés. Je n’ai jamais vu à aucun moment le contrôleur ni de voyageurs dans le couloir. Un voyageur passa, à un moment donné, sa tête à la porte mais la retira précipitamment. Je n’ai pas su, sur le moment qu’une lutte avait lieu entre mes camarades et l'officier qui a été tué. J’ai entendu, couvert par le roulement du train, un bruit sec qui était la détonation du revolver, mais que j’ai pris pour le claquement d’un porte. Alors Bertrand et Thomas me rejoignirent en me dirent : « Ça y est, c’est fini. » Bertrand ajouta : « J’ai tiré le cordon d'alarme, le train va s’arrêter, profitons-en.» Effectivement, le convoi ralentit, j’ouvris la portière et je sautai le premier. Je tombai sur les genoux et me blessai. Thomas et Bertrand sortirent après moi. Nous, profitâmes dé l’obscurité pour descendre le talus et gagner la campagne. Nous suivîmes une route que nous ne connaissions pas et 'qui nous conduisit à Nolay, où nous, arrivâmes à 5 heures. Derrière un grand mur, que nous sûmes plus lard être le mur du cimetière, nous nous débarrassâmes de nos masques, des portefeuilles, papiers, foulards, imperméables et calots auxquels nous mîmes le feu. Thomas prit trois billets de seconde classe pour Étang. Dans le wagon, nous partageâmes l produit de l’expédition. Il y avait 4.000 francs en argent. Je vis que Thomas avait une bague en brillants, deux alliances, une chaîne de montre, un médaillon avec rubis et diamants. Il se chargea de vendre ce butin et le garda.


  • ON DIT QUE.

Quand les journaux du soir apprirent hier après midi aux Parisiens la fin dramatique des bandits du train 5, on se serait cru reporté aux jours où l’on attendait les détails de l’arrestation de Bonnot ou de Garnier. On, avait l'impression. d’un soulagement général. On se rendait trop bien compte que l’impunité des misérables, si elle s’était prolongée, eût encouragé des émules à renouveler leurs exploits. Cette fois, le châtiment a suivi de près le crime. Il a été brutal, mais juste. Et si l’on n’avait pas à déplorer la gravé blessure d’un de ceux qui ont contribué à la capture des bandits, on pourrait dire que cette justice expéditive, en ces cas-là, est la meilleure. La police a fait preuve de la plus grande adresse. Qu’on imagine les difficultés de sa tâche! Trois hommes sont perdus dans Paris. Ils ont pris la précaution de ne pas se loger dans les mêmes quartiers. L’un porte perruque ce qui change complètement son signalement. Il y a confusion do nom... Et pourtant] à force de patience, en contrôlant les renseignements, les uns par les autres, en écoutant des propos indiscrets, les policiers sont arrivés à découvrir le refuge de l’un des trois bandits... Il faut bien avouer d’ailleurs que la chance des défenseurs de l’ordre est aidée par la faiblesse des malfaiteurs qui parlent trop et qui gardent sur eux ou chez eux tout ce qui peut les compromettre. Ils ont une méchante audace. Ils n’ont pas l'intelligence, si l'on peut dire, de leur malfaisante hardiesse. Vous rappelez-vous les déclarations des voyageurs dévalisés du rapide 5? A les croire, presque tous ils avaient été dépouillés de sommes formidables. 15 000 francs disait l’un, 10 000, disait l’autre, 400 guinées, 20.000 francs environ, affirmait le troisième... A les entendre, les bandits avaient emporté 150 000 francs. Chacun escomptait bien que les bandits ne seraient jamais retrouvés et dire que l’on est porteur de grosses sommes, «ça fait toujours bien... pour les voisins». Hélas, les bandits sont pris. Et le survivant avoue piteusement qu’en tout et pour tout, ils se partagèrent 1 300 francs chacun d’argent ! De loin c’est quelque chose et de près ce n’est rien... Et à propos de la blessure de l'inspecteur Curnier, pourquoi les agents chargés de missions aussi périlleuses ne sont-ils pas porteurs de cottes de maille? Est-ce que leur vie ne vaut pas cette dépense?

Journal L'Intransigeant du 1-8-1921 (Collection BNF-Gallica)


  • Les bandits du rapide ne sont, plus nuisibles. Bien. Mais, combien reste-t-il en liberté de ces gens qui sont, prêts â assassiner leur prochain pour s’emparer d'un billet de mille francs? Six mille, à peu prés, me dit-on. Sans doute, il y avait autrefois autant de malhonnêtes gens qu’aujourd’hui. Mais aujourd'hui il y a l’armement, la vitesse des transports, et surtout une terrible épidémie d’appétit de vie facile. Il s’agit d'avoir toujours les poches pleines d’argent et de ne pas travailler. Comment résoudre ce problème, quand on n’est pas né millionnaire, autrement que par le vol et l’assassinat. Au moins la Société qui est bien en effet une Société d’aide mutuelle par le travail, et l’activité sociale, prend-elle des mesures? Elle est avertie. Se défend-elle ? Sait-elle se débarrasser des mauvais garçons qui rendent la vie périlleuse ? Les trois bandits d’hier avaient été réunis par la loi d’amnistie. Voici leurs états de service : Thomas : Sept condamnations. Charrier et Bertrand : Quatre condamnations chacun. Et ces deux-ci, condamnés au début de 1920 à deux ans-de prison, avaient tous deux été amnistiés. Les voilà donc libres, avec six mille, autres individus de leur espèce et avides, avec combien d'autres aussi, de jeux, de luxe, de plaisirs. Ils disent, pour définir cet état d’esprit, un mot qui les point bien : « Je ne veux pas me salir les mains ». Sauf de sang, mais cela ne compte pas. Contre ces gens-là la police fait ce qu’elle peut. Elle se dévoue, et chaque inspecteur chargé d’une arrestation ne sait pas s'il ne finira pas à l’hôpital avec une balle dans le ventre, comme Curnier. Mais il y a mieux à faire, devant cette épidémie de crimes. Pourquoi ne renforce-t-on pas les lois ? Un homme qui a été trois ou quatre fois en prison pour vols et violences, escroqueries, coups et blessures, abus de confiance, est un homme qui a fait définitivement la preuve de sa volonté de vivre par la malhonnêteté aux dépens du travail des autres. Et on attend un nouveau crime pour s’en débarrasser. Non. Plus de ça. Que la déportation vienne plus vite et que les déportés soient soumis à un travail qui suffise à les nourrir, de façon à ce qu’une fois de plus ce ne soient pas les honnêtes gens qui payent pour eux. Surtout, quand on en tient un, et que l’on fait une amnistie pour les victimes d’un coup de tête, pour ceux qui ont pu commettre un crime politique, qu’on n’en fasse pas bénéficier les fripouilles. Les inspecteurs et l'es voyageurs qu’on tue maintenant comme des lapins sont les victimes de la générosité et de la surenchère électorale de ces messieurs du Parlement.


Journal L'Intransigeant du 2-8-1921 (Collection BNF-Gallica)

Les conséquences.

  • Sonnette d'alarme? Sonnette d'appel?

Un de nos lecteurs nous soumet une idée qui nous paraît intéressante : — Pourquoi, nous dit-il, une sonnette d’alarme ? Elle ne fait arrêter que pour que messieurs les bandits descendent aisément. Avec toutes les défenses de s’en servir qui sont affichées, vous, pensez bien qu’aucun honnête homme n’aura l’audace de tirer sur les sonnettes, tellement les pénalités le menacent. Mais une sonnette, d’appel qui avertirait les chefs de trains et les employés sans arrêter le train serait beaucoup plus efficace. Le chef de.train et ses employés viendraient sur place, bien armés, se rendraient compte des événements et eux seuls arrêteraient le train s’il y avait lieu en se servant d’appareils spéciaux transformés. Les bandits seraient ainsi des prisonniers de la vitesse. La sonnette d’alarme n’était utile qu’autrefois, lorsque les wagons ne communiquaient pas entre eux, maintenant elle est sans effet, qu’on la supprime. » Voilà qui nous paraît judicieux.

Journal L'Intransigeant du 3-8-1921 (Collection BNF-Gallica)


  • Signal d’alarme, sonnette d’appel.

« Le signal d’alarme est un procédé périmé, qui n’a plus sa raison d’être», » M. Huguenard, ancien élève de l’École Normale-supérieure et ingénieur distingué, est tout à fait d’accord avec L'Intransigeant sur la nécessité de remplacer dans les trains le signal d’alarme actuel qui n'est pas du tout ce que sou nom semble indiquer, par quelque chose oui serait précisément un signal d’alarme, « Le soi-disant signal d’alarme, nous dit-il, ne demande pas seulement l'arrêt du convoi : il le détermine automatiquement en tirant la poignée. Vous croyez appeler quelqu'un, le Chef de train ou le mécanicien pas du tout, vous actionnez le frein tout simplement,vous ouvrez la conduite qui va d’un bout à l'autre du train et vous lâchez l'air comprimé dont elle est pleine ; les freins libérés agissent et le convoi s'arrête. « Vous disposez ainsi d’un pouvoir exorbitant. Un voyageur qui se sent mal à l’aise ou qui croit avoir quelque chose à signaler au personnel, hésiterait sans doute à tirer sur cette poignée souveraine s’il savait que Je rapide va stopper pour si peu. Cette responsabilité, au contraire, n'intimidera pas du tout le malfaiteur qui vient de vous dévaliser et dont le souci majeur est de vous fausser compagnie le pins vite possible. « Le freinage au gré des voyageurs a été substitué à la simple sonnerie d’appel il y a une vingtaine d’année. Alors on n’était pas très ferré sur l'appareillage électrique ; les mêmes difficultés techniques qui justifiaient jusqu'à nouvel ordre l’emploi du gaz pour l'éclairage des wagons, empêchaient qu'on installât une sonnerie d’un bout à l’autre du train ; chaque voiture avait son réservoir à gaz et ses piles électriques dont l’entretien était une incommodité et une dépense. Aujourd’hui, cette raison n’existe plus. Il serait extrêmement facile d’installer une sonnerie qui se raccorde d'un wagon à l’autre et dont l’électricité serait fournie par la locomotive, On pourrait alors supprimer le freinage individuel et discrétionnaire. Les honnêtes gens ne s’en plaindraient pas et les bandits, seuls, en seraient désappointés. »

Journal L'Intransigeant du 13-8-1921 (Collection BNF-Gallica)


Photos et cartes postales

Croquis et plans