Article de la Revue La Nature de 1881: Appareils à enclenchement des gares de Perrache et de la guillotière, à Lyon

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Nous avons reçu de M. A. Gobin, ingénieur en chef des ponts & chaussées, un très intéressante note sur les appareils à enclenchement installés aux gares de Perrache et de la Guillotière, à Lyon, dans le but de satisfaire aux exigences croissantes d'un service sans cesse plus actif. Nous allons résumer, pour nos lecteurs, la note de M. A. Gobin, en nous en tenant seulement aux principe des appareils employés. Le système a pris naissance en France et a été exposé, pour la première fois, en 1867, par M. Vignier et notablement perfectionné ensuite par MM. Saxby et Farmer. Le premier système de M. Vignier était spécialement disposé pour les bifurcations, dans le but d'empêcher d"une manière absolue que les deux directions dans un chemin de fer fussent ouvertes en même temps. Je suppose que deux branches A et B aboutiessent à un tronc commun C où se trouve l'aiguille, qui est faite, par exemple, sur voie A. Le disque avancé de A sera ouvert et celui de B sera fermé pour éviter que deux trains arrivant en même temps de A et de B se rencontrent en arrivant sur le tronc commun C. Si l'on veut recevoir sur le tronc commun un train venant de B, il faudra:

- Fermer le disque de la voie A; pour arrêter les trains qui pourraient venir de cette ligne;

- Faire l'aiguille sur la voie B;

- Ouvrir le disque avancé sur la voie B;

Si l'on changeait l'ordre de ces opérations, par exemple, si on faisait l'aiguille sur la voie B avant d'avoir fermé le disque A et surtout si l'on ouvrait le disque B avant d'avoir fait l'aiguille sur cette voie et fermé le disque A, un accident serait possible, car dans l'intervalle des manœuvres, un train pourrait encore venir par Av pendant qu'un autre arriverait par B, qu'on vient d'ouvrir. Pour que les signaux ne puissent être manœuvrés que dans cet ordre, M. Vignier a établi, entre le levier de manœuvre de l'aiguille et celui de chaque disque, une "solidarité" telle qu'on ne puisse ouvrir le disque que sur la voie où l'aiguille se trouve faite. Pour cela, le levier du disque B est muni d'une tige ou "verrou" qui ne peut avancer, et par suite permettre au levier de se déplacer, qu'en entrant dans un œil ménagé dans la tringle de manœuvre de l'aiguille et cet œil se trouve en face du verrou seulement lorsque l'aiguille est faite sur la voie B. Si l'aiguille n'est pas faite sur B, le verrou bute contre le plein plein de la tringle et le levier du disque ne peut pas manœuvrer.

Le levier du disque de la voie A, s'enclenche de même dans la tige de manœuvre de l'aiguille lorsque celle-ci est faite sur cette voie, en sorte qu'on ne peut faire passer l'aiguille de la voie A sur la voie B sans avoir préalablement déclenché cette aiguille en fermant le disque de la voie A. On voit donc que l'ordre des manœuvres se trouve forcé et qu'il est matériellement impossible aux agents chargés des aiguilles et signaux de les manœuvrer dans des conditions autres que celles où la sécurité se trouve assurée. On est donc à l'abri d'une erreur, d'une négligence ou même d'un acte de malveillance de la part de ces agents.

Le perfectionnement apporté au système de M. Vignier par MM. Saxby et Farmer, consiste en un moyen de concentrer sur un même point tous les leviers de manœuvre des aiguilles et des signaux, disques, etc., dépendant d'un même poste d’aiguille ou de plusieurs postes voisins. Dans les systèmes antérieurs, la manœuvre devait se faire à l'aiguille même, ce qui obligeait l'aiguilleur à se déplacer et, par suite, diminuait le nombre d'appareils confiés à ses soins. Le système de transmission imaginé par MM Saby et Farmer, permet de placer le levier de manœuvre d'une aiguille à une assez grande distance de l'aiguille elle-même, et de réunir en un même point, dans un pavillon appelé "signal-box", établi à une certaine hauteur au -dessus des voies, tous les leviers d'aiguilles et tous les leviers de signaux d'un poste. Cette transmission se compose de tiges rigides en fer creux, clavetées ou réunies par des manchons filetés, des retours d'équerre facilitant les inflexions nécessitées par les circonstances locales.

Ces tiges sont supportées, de 2 mètres en 2 mètres, par des galets de fonte, et permettent ainsi la manœuvre des aiguilles jusqu'à une distance de 300 mètres. Des balanciers de compensation permettent d'annuler les effets de la dilatation. Les leviers ainsi réunis dans un même pavillon sont solidarisés par des enclenchements disposés de manière que la manœuvre de chaque levier ne soit possible que lorsque tous tous les mouvements de signaux qui doivent la précéder ont été effectués eux-mêmes. C'est ce que les Anglais appellent "interlocking-system" (système à enclenchements).

Ainsi, une voie ne peut être ouverte à un train par son disque avancé, sans qu'elle eût été préalablement préparée par l'aiguille correspondante et sans qu'elle ait été fermée par les signaux à tous les autres trains qui peuvent venir d'une direction différente. Une fois le passage donné sur une voie, l'aiguilleur ne peut plus modifier la position des aiguilles sans avoir préalablement changé les signaux.

Dans ces conditions; on voit combien il est nécessaire que tous les leviers de manœuvre soient réunis en un point unique de façon à effectuer très rapidement tous les signaux qui doivent précéder l'ouverture d'une voie donnée. Au poste n°2 de la Guillotière, par exemple, il y a trente-six leviers, dont trente actuellement en fonction. Il y a trois aiguilleurs dans le poste, deux manœuvrent les leviers et le troisième reçoit les signaux électriques. Ils travaillent huit heures par jour, et n'ont pas, pendant leur service, le temps de prendre leur repas. Il y a sur ce point, cinq cent vingt-cinq passages de trains ou machines par jour. Les trains sont signalés aux aiguilleurs par les postes avancés reliés électriquement au "signal-box". L'aiguilleur ouvre alors la voie demandée après avoir avoir fermé les autres et fait tous les signaux de protection dans l'ordre voulu par les enclenchements. Si, par une fausse interprétation de la demande, l'aiguilleur donnait le passage sur une voie autre que celle demandée, cette erreur ne pourrait donner lieu à aucun accident, car la voie ouverte à tort aurait été fermée à tous les autres trains pouvant y arriver; il y aurait simplement une fausse manœuvre et train devrait rebrousser chemin; mais toute chance de collision serait écartée. C'est là ce qui constitue le principal avantage du système. En outre, les signaux peuvent être faits avant l'arrivée des trains, puisque ceux-ci ont été signalés par les postes avancés, tout étant préparé d’avance, les trains attendus franchissent les bifurcations sans s'arrêter et à la vitesse ordinaire, ce qui fait gagner beaucoup de temps, tandis qu'autrefois tous les trains, sans exception, devaient s'arrêter aux bifurcations et attendre qu'on leur livrât la voie.

Cet ensemble de dispositions joint au surcroît de sécurité apporté par l’appareil Tyer, qui réalise un block-system absolu et dont nous parlerons quelques jours, rend les accidents à peu près impossibles, du moins en qui concerne les signaux et les ordres donnés aux mécaniciens, ainsi que pour les voies ouvertes aux trains aux points de bifurcation, les plus dangereux de toute la voie ferrée.