Bulletin PLM N° 21 de Mai 1932 : Les résultats de notre exercice 1931

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Titre de l’Article

Les résultats de notre exercice 1931 par M. Louis Geoffroy, Contrôleur des Services Centraux à la Direction.

Planche et figures de l’article

Introduction

Notre Réseau a souffert, en 1931, des effets combinés de la crise économique et de ce qu’on peut appeler sans exagération la crise du chemin de fer. Aussi notre exploitation présente-t-elle les plus fortes régressions de trafic et de recettes qu’on ait jamais enregistrées depuis 1921.


Ajoutons tout de suite que cette situation n’est pas particulière au PLM, mais qu’elle s’étend, avec moins de gravité d’ailleurs que dans certains pays étrangers, à l’ensemble des réseaux français, dont l’insuffisance globale pour 1931 dépasse la somme impressionnante de 2 milliards et demi de francs.


Devant un tel résultat, la banale exclamation « C’est la crise » à laquelle nous sommes si habitués depuis quelques mois, ne constitue pas une explication suffisante. Nous suivons les évènements avec assez d’attention pour savoir que, dans notre industrie, la crise économique, pour aussi fâcheuse qu’elle soit, n’est venue qu’aggraver les effets de cette autre crise, qui nous avait déjà valu presque tout notre déficit l’an dernier et qu’on n’a pu enrayer contre toute attente raisonnable : la crise du chemin de fer.


Que, s’il en doute, le lecteur se reporte à la lettre du 13 mars 1931 (voir Bulletin de mai 1931) au Ministre des Travaux publics. La situation (paragraphes II et III de cette lettre) dont se plaignaient les Compagnies est restée la même. Aujourd’hui comme hier, en dépit des voeux de nombreuses collectivités et notamment de l’Assemblée des Présidents des Chambres de Commerce, en dépit des avis du Conseil Supérieur des Chemins de fer, en dépit des conclusions de la Commission gouvernementale : « écrasé d’impôts, soumis à des sujétions onéreuses, enserré dans des règlements rigides et astreint à de multiples contrôles, le chemin de fer est en état d’infériorité manifeste vis-à-vis des moyens de transport concurrents, plus libres, plus souples, moins surchargés d’impôts, exempts de toutes charges extra-industrielles ».


Pour en revenir à notre réseau, il n’est pas douteux que toutes les réformes vainement attendues depuis tant de mois eussent permis de terminer l’exercice 1931 d’une façon moins alarmante, malgré le malaise économique.


Le trafic

Notre Pays, dont la forte constitution avait résisté presque toute l’année 1930 à la contagion de la maladie mondiale, a vu sa santé s’altérer nettement en 1931. A l’heure actuelle, on cherche de tous côtés des remèdes à cette maladie de langueur dont les indices officiels montrent la gravité (L’indice généra1 de notre production (base 100 en 1913), qui était en moyenne de 139 en 1929, de 140 en 1930, est tombé en 1931 à 124 et il s’est établi à 106 en janvier 1932.

Les voyageurs

Le trafic voyageurs, mesuré par le nombre des unités de trafic 7.025.445.522 voyageurs-kilomètres contre 7.205.606.462 en 1930 a été en régression de 2,5 %.).


Nos courants de transports, comme les pulsations d’un organisme affaibli, se sont réduits. On peut en juger par la figure 1, qui montre la chute de la courbe de nos wagons chargés et de notre recette hebdomadaire.


La recette kilométrique annuelle (figure 2) est tombée à 393.241 francs, taux voisin de celui de 1927, exercice dont les résultats, pourtant bien médiocres, en raison de la convalescence du franc, avaient déjà marqué une régression du trafic.


Mais alors que le coefficient d’exploitation n’avait atteint que 79 % en 1927, on constate qu’il est monté en 1931 jusqu’à 94,8 %, pourcentage le plus défavorable depuis 1921.


Record peu enviable et dont la cause est la suivante : si nous tombons au même niveau de recettes qu’en 1927, nous tombons de bien plus haut. On n’ignore pas que les chiffres correspondant aux moyens d’action mis en jeu en 1930, personnel, matériel, parcours des trains ont constitué des maxima. Un tel outillage, puissant et coûteux, correspond à des années d’expansion économique : il devient écrasant en cas de chute brusque et sensible du trafic. Car notre matériel, nos locomotives, nos trains sont comme l’argent qu’ils représentent : ils ont besoin de circuler, et de circuler beaucoup, sous peine d’être des capitaux improductifs, improductifs pour l’exploitant, car il faut toujours en fin de compte payer les intérêts des emprunts.


Ajoutons aussi qu’aucune augmentation de tarifs n’est venue compenser les quatre augmentations de salaires réalisées en 1929 et en 1930.


A ne s’en tenir qu’au nombre des voyageurs transportés, on trouve une régression plus forte : 5,85 %, le total des voyageurs n’ayant atteint que 109,7 millions contre 116,5 en 1930. On constate ainsi que nos voyageurs ont effectué dans 1’ensemble de plus longs parcours qu’en 1930 (le parcours moyen est passé de 62 à 64 km).


Par ailleurs, on a pu noter les variations suivantes dans la fréquentation des classes de voitures :

  • Répartition de 1 000 voyageurs :
    • en 1ère classe :
      • 1929 : 19
      • 1930 : 17
      • 1931 : 15
    • en 2ème classe :
      • 1929 : 85
      • 1930 : 84
      • 1931 : 79
    • en 3ème classe :
      • 1929 : 896
      • 1930 : 899
      • 1931 : 906


Dans l’ensemble, on trouvera que la diminution du trafic voyageurs n’est pas aussi marquée qu’on pourrait s’y attendre. C’est que, si d’un côté notre Réseau a perdu des voyageurs du fait de la crise et notamment beaucoup d’étrangers, s’il en a perdu également avec la concurrence de l’automobile, il en a par contre gagné beaucoup grâce aux déplacements occasionnes par l’Exposition Coloniale, grâce aussi, paradoxe ! au mauvais temps persistant de l’éte, qui fit affluer sur notre Côte d’Azur tous ceux qui voulaient trouver une saison normale.

Les marchandises

Pour continuer sur une note réconfortante, il faut parler d’abord des transports GV qui ont « tenu » d’une façon remarquable en 1931. On est même surpris, à première vue, de constater que le tonnage transporté en GV, messageries et colis postaux, puisse accuser une augmentation de 0,1 % sur 1930. La raison de cette progression elle est infime, mais c’est la seule que le trafic ait marquée en 1931 réside surtout dans l’excellente campagne des fruits et primeurs, dont le tonnage total a atteint près de 600.000 t, chiffre sensiblement supérieur à ceux de 1930 et même de 1929.


Signalons, en passant, les résultats également remarquables du trafic des fleurs du Littoral, qui était en baisse continue depuis 1925 et qui vient de dépasser en 1931 le chiffre de 10 000 t, record des années d’après-guerre.


Mais il faut en arriver à de moins belles constatations, en abordant le trafic PV, source la plus importante de recettes. Ce trafic se présente avec la régression considérable de 11,96 % du tonnage commercial transporté. Toutefois, comme pour les voyageurs, on note que le parcours moyen d’une tonne PV s’est accru (de 239,6 km à 243,8 km), de sorte que la diminution réelle du trafic est seulement de 10,4 % (9 milliards 675 millions de tonnes kilométriques, contre 10 milliards 800 millions en 1930). Ce fléchissement, qui va de pair avec celui de notre production nationale en 1931 , mais qu’a accentué dans une mesure certaine la concurrence de la route, suffit à lui seul à expliquer l’inquiétante variation des courbes de la figure 1.


  • La diminution du tonnage PV a affecté comme suit les principaux groupes de marchandises :
    • Combustibles : 10,87 %
    • Industries diverses : 16,34 %
    • Agriculture : 5,86 %
    • Construction : 15,61 %


Rappelons qu’en 1930 on avait pu encore observer une augmentation sur l’agriculture et la construction, à coté d’une baisse moins sensible des industries ( 1,57 %) et des combustibles (9,22 %).

Les économies d’exploitation

En présence d’un tel recul du trafic, il était évidemment nécessaire de réaliser le maximum d’économies, de réajuster l’instrument ferroviaire en réduisant sa capacité dans la même proportion que le trafic. Cela, dans toute la mesure du possible car les économies sont, comme on va le voir, forcement limitées.


En ce qui concerne le parcours total des trains de l’exploitation, on a pu le réduire à moins de 118 millions de kilomètres, soit exactement de 4,1 %.


Le tonnage kilométrique brut remorqué, ramené de 54 milliards 200 millions à 51 milliards 700 millions de tonnes kilométriques, accuse une réduction de 4,7 %.


Le parcours total des locomotives, ramené de 166 à 157 millions de kilomètres, présente une diminution de 5,8 % et parallèlement la consommation de combustibles est passée de 3.173.000 t à 2.981.000 t ( 6%).


Quant au travail de la voie, s’il a été possible momentanément d’en ralentir l’allure en ce qui concerne les renouvellements des voies (300 km contre 504 en 1930) et les remplacements de ballast (400 km contre 569 en 1930), il ne pouvait être question de le réduire au total dans la même proportion que le trafic et cela pour d’impérieuses raisons de sécurité. On peut, dans un but d’économie, garer et ne plus entretenir, durant quelque temps, un certain effectif de matériel roulant dont on ne prévoit pas l’utilisation, mais on conçoit qu’on ne puisse cesser d entretenir minutieusement un seul kilomètre de voie. Par ailleurs, l’ajournement des gros travaux de renouvellement ont pour contrepartie un entretien courant plus minutieux et plus couteux sur les sections ajournées. La meilleure économie dans le domaine de la voie consistait donc essentiellement à éviter toute augmentation de dépenses, sans chercher à réduire nombre de travaux inéluctables commandés par le souci de la sécurité.


D’autre part, le chapitre des dépenses de personnel ne se prête guère à des économies immédiates. Nous savons tous que notre effectif a pu être progressivement réduit en 1931, mais beaucoup d’agents ignorent probablement que la réduction moyenne réalisée a été loin de correspondre à celle qu’aurait nécessitée le maintien d’un bon rendement. La consultation de la figure 3 est suffisamment édifiante à cet égard, si l’on prend la peine d’en comparer les éléments avec ceux des années précédentes (Voir figure 4, page 80, du Bulletin de mai 1931). On constate que, par kilomètre exploité, l’effectif a pu être ramené en moyenne en 1931 à 12,2 agents, chiffre de 1929, mais que ces 12,2 agents ont été moins bien utilisés, la somme des unités de trafic ayant été sensiblement inférieure à celle de 1929.

Les résultats financiers

La figure 4 présente nos résultats financiers de 1931 sur la même balance que l’an dernier pour l’exercice 1930 et le lecteur pourra utilement comparer les deux figures.


  • Les recettes d’exploitation ont fléchi dans l’ensemble de 454 millions, soit de plus de 10 % et leur diminution a été la suivante, pour chaque trafic :
    • Voyageurs : 45 millions (- 4,7%)
    • Marchandises GV : 8 millions (- 1,2%)
    • Marchandises PV : 410 millions (- l5,3%)


Mais, dira-t-on, pourquoi, en l’absence de toute modification générale des tarifs, ces pourcentages sont-ils si différents de ceux qui ont exprimé tout à l’heure la variation de chaque trafic (-2,5 % pour les voyageurs, + 0, 1 % pour le tonnage GV, -10,4% pour la PV) ? Pourquoi les recettes ont-elles diminué davantage ? A cela on peut répondre : concurrence de l’automobile et la conclusion dira pourquoi.


Les dépenses

Energiquement comprimées, les dépenses ont dans l’ensemble été ramenées à 3 milliards 680 millions (diminution de 195 millions).


Les dépenses de personnel ont baissé de 42 millions. En réalité, l’économie résultant de la réduction de l’effectif moyen en 1931 ressortirait à 92 millions, mais elle est en partie neutralisée par suite du dernier relèvement général de la rémunération, qui a joué cette fois pendant tout un exercice, au lieu de sept mois seulement en 1930.


En dehors des dépenses de la Voie, tous les autres chapitres se présentent également en diminution. Sur la consommation de combustible, on a obtenu 64 millions d’économies et sur les dépenses du matériel roulant, près de 100 millions.


L’insuffisance

Le produit net constitué par l’excédent des recettes sur les dépenses (soit 201 millions) est bien entendu loin de suffire au paiement des charges financières, lesquelles sont d’ailleurs en augmentation. On voit ainsi apparaitre, après avoir effectué tous les prélèvements, soit 897 millions, un déficit de 696 millions.


A ce déficit que ne saurait combler le fonds commun, épuisé depuis longtemps, il convient d’opposer la somme de 808 millions que notre Réseau a rapportée à l’Etat, tant en impôts sur les transports (516 millions) qu’en transports gratuits (292 millions) et ce rapprochement, qui éclaire suffisamment les esprits sur notre gestion, peut se passer de commentaire.

Conclusion

Le rétablissement de l’équilibre reste, comme on le remarquait l’an dernier, subordonné avant tout à certains relèvements de tarifs, accompagnés d’un dégrèvement fiscal. Mais la prospérité véritable, indispensable au perfectionnement de l’équipement de nos voies ferrées, ne peut renaître qu’avec une reprise de l’activité économique du Pays. Il faut encore compter sur diverses réformes et notamment sur une règlementation plus équitable des transports automobiles.


Supposons en effet, un instant, que notre Compagnie soit une entreprise de transports sur route et la balance va prendre un tout autre équilibre : d’un côté, une bonne part de la charge des emprunts, celle correspondant aux travaux d’établissement, se décroche du plateau des dépenses ; ce dernier délesté également de toutes les dépenses d’entretien et de renouvellement de la voie et d’une part considérable de celles de Personnel remonte allègrement d’autant plus haut que, sur le plateau des recettes, vient prendre place presque tout le contenu de l’imposant coffre-fort des impôts...


Mais il faut revenir à la réalité et déplorer qu’une telle situation soit le privilège exclusif de l’automobile, qui en profite largement pour travailler en quelque sorte au rabais et « écrémer », comme on l’a dit très justement, le trafic du chemin de fer, en ne laissant à ce dernier que la charge des transports les moins rémunérateurs.


Un simple coup d’oeil sur la légende de la figure 5 montre combien les armes sont inégales dans cette lutte que le chemin de fer doit soutenir, jusqu’à ce qu’on veuille bien mettre fin à cette ère de concurrence néfaste, qui tend à l’avilissement des prix de transports et menace d’appauvrir le Pays en ruinant peu à peu son système de circulation.


Dans notre important déficit de 1931, les entreprises automobiles portent une lourde part de responsabilité, surtout depuis qu’elles s’attaquent aux transports à longue distance, qui devraient normalement revenir au chemin de fer. En attendant, celui-ci fait les frais du défaut de règlementation : non seulement il perd irrémédiablement certains trafics, mais il doit encore se résoudre à de couteuses réductions de tarifs pour conserver les plus intéressants de ses transports.


Appelons donc de tous nos voeux l’ère sans doute prochaine qui verra intervenir cette réglementation, fondée sur une répartition équitable des charges, et qui mettra fin au développement anarchique des transports automobiles.


. « S’il est vrai qu’une crise vide les poches et remplit les cerveaux, disait notre conclusion l’an dernier, nul doute que le Réseau ne remporte la victoire contre le déficit, grâce à la sagesse de tous : agents, usagers, contribuables. » On vient de voir que la crise a bien vidé nos poches, mais il est juste d’ajouter que, si le déficit ne s’est pas résorbé, ce n’est pas faute de sagesse : du cerveau de notre collectivité ferroviaire est né, au début de 1931, ce programme d’exploitation nouvelle dont certains points ont été évoqués dans le Bulletin (voir numéro de janvier 1932) mais dont le seul défaut est de n avoir pas encore reçu l’approbation du Parlement.


La mise en application de ce programme marquera la fin de ces rêves puérils, dans lesquels le chemin de fer a souvent pris figure de condamné à mort.


Rêves combien insensés ! Comment, en effet, peut-on songer à substituer du jour au lendemain l’automobile à un mode de transports dont l’état de perfection actuel puissance, vitesse, sécurité est le fruit d’une expérience séculaire et d’incessants travaux d’améliorations ? Comment s’effectueraient les transports de voyageurs en masse, même sur de petites distances ? Comment s’effectuerait la circulation de ces tonnages impressionnants de marchandises pour lesquelles le chemin de fer met en marche des trains de 65 wagons et plus ?


L’usager serait loin de trouver son compte dans une , telle révolution , dont le résultat immédiat serait de démontrer l’inaptitude de la route à assurer la totalité des transports : les routes, avec leur circulation de détail piétons, cyclistes, véhicules particuliers hippomobiles et automobiles, poids lourds sont et doivent rester, tout comme de petits vaisseaux sanguins, des moyens de circulation à faible débit. Sous peine de paralyser la circulation dans un mortel embouteillage, leur rôle doit s’arrêter ou commence celui des grosses artères : nos voies ferrées.


La suppression du chemin de fer marquerait d’ailleurs la fin de cette prospérité tout artificielle des entreprises automobiles, qui auraient dès lors à assurer tous les transports, les mauvais comme les bons et qui, chose plus grave, seraient à leur tour transformées en machine fiscale, puisque aussi bien elles devraient nous remplacer jusqu’au bout...


On a trop oublié dans le public que les avantages du moteur à explosion père de l’automobile, pouvaient aussi être exploités judicieusement par le chemin de fer. Ce moteur n’a pas été inventé en effet pour être l’apanage exclusif de l’automobile. Il doit permettre simplement et fort heureusement pour notre économie nationale de perfectionner d’égale façon les transports par route ou par fer, sans modifier grandement l’importance relative de chacun.


Espérons donc, dès que les pouvoirs publics en auront donné tous les moyens au chemin de fer, celui-ci saura fort bien montrer, notamment avec ses automobiles sur rail des lignes secondaires, qu’il sait utiliser toutes les ressources nouvelles de l’industrie au mieux des intérêts de l’usager.