RGCF janvier 1922 : Véhicule à tablier roulant ou « Trottorail »

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Titre

Véhicule à tablier roulant ou « Trottorail » pour le transport des ouvriers poseurs du service de la Voie, par E. Nivert, Ingénieur du PLM

Planche et figures de l’article

Article

Le transport rapide, au chantier, des ouvriers poseurs chargés de l’entretien et des réparations de la voie, constitue, pour les Compagnies de Chemins de fer, une question que les conditions actuelles de la main-d’oeuvre rendent particulièrement intéressante.


Pour effectuer ce transport rapide, les compagnies ont généralement envisagé l’emploi de véhicules dont la propulsion est assurée au moyen d’un moteur à essence.


Cette solution du problème présente naturellement les avantages et les inconvénients inhérents à un tel mode de propulsion.


Malgré les progrès réalisés à l’heure actuelle dans l’étude et la fabrication des moteurs à explosion, les arrêts intempestifs (panne. d’essence, panne d’allumage, panne de carburation incidents dus aux intempéries, notamment au gel) bien qu’atténués dans, une certaine mesure, n’ont pas complètement disparu.


Pour les moteurs appliqués aux petits véhicules sur rails, ces arrêts se reproduiront plus fréquemment encore, au moins pendant le laps de temps qui sera nécessaire à l’ouvrier poseur de la voie pour acquérir l’expérience nécessaire à la conduite et à l’entretien de l’appareil qui lui aura été confié et ils peuvent, dans certains cas, entraîner des conséquences, sinon graves, du moins suffisantes, s’ils sont répétés, pour compromettre les avantages que peut présenter d’autre part, la rapidité de translation du système envisagé.


Ces inconvénients disparaîtraient, on n’aurait à redouter ni panne, ni perte de temps, on éviterait les réparations, frais de combustible et d’entretien si au lieu du moteur à essence, on utilisait pour la propulsion du véhicule, tout ou partie du personnel à transporter.


Le problème a été résolu. Il existe nombre de véhicules actionnés soit par des manivelles qui transmettent leur mouvement de rotation aux essieux au moyen de pignons et de chaînes, soit par des bielles légères disposées verticalement attaquant directement un maneton dont chaque roue est munie et que les hommes actionnent en « pilonnant ».


Le mécanisme de propulsion de l’appareil que nous allons décrire est fondé sur un autre principe. Il utilise le kilogrammètre produit par la marche du personnel sur un tablier mobile légèrement incliné.


Les hommes qui marchent sur le tablier fournissent un effort relativement faible, ainsi que nous le montrerons plus loin et sous une forme qui paraîtra très rationnelle et même hygiénique, puisque le travail musculaire demandé est en définitive celui qui est dépensé en gravissant une côte à faible allure.


Voici comment sont disposés les divers organes du véhicule que j’ai dénommé « Trottorail » par allusion au trottoir roulant dont il est muni.


Le Trottorail (Figure 1) se compose d’un châssis métallique léger en tôle et cornière, reposant sur deux essieux munis de roues pour voie ferrée constituées par un voile en tôle mince emboutie (dans le genre des roues d’automobiles) avec bandage soudé. Dans la partie centrale de ce châssis, est disposé, avec une inclinaison convenable, un trottoir ou tablier sans fin roulant sur deux lignes de pignons calés sur deux faux essieux. Le tablier mobile a sensiblement la largeur du châssis. Il peut recevoir trois hommes de front qui, en gravissant le pan incliné qu’il constitue, fournissent l’effort moteur. Le mouvement du tablier est transmis aux essieux de roulement par l’intermédiaire d’un mécanisme convenable à chaînes comprenant un changement de vitesse et permettant de réaliser, outre trois vitesses avant et une marche en arrière, une marche en roue libre.


L’appareil peut transporter dix hommes au plus: trois assis sur le banc disposé à sa partie antérieure, trois sur le tablier qui fournissent l’effort de translation et qui s’appuient sur la barre horizontale constituant la partie supérieure du dossier du siège, enfin quatre hommes debout adossés au garde-fou disposé à l’arrière du véhicule. Un frein à lame, visible sur les figures 1 et 3, agit sur la face intérieure des jantes des roues avant et permet d’obtenir très rapidement l’arrêt.


Le tablier roulant est constitué de telle sorte que son brin supérieur présente une rigidité propre suffisante pour porter le poids moteur, c’est à dire trois hommes de front. Dans ce but, il est formé de lamelles de bois présentant une section légèrement trapézoïdales, plus large à la partie supérieure, de telle manière que, juxtaposées, ces lamelles constituent un ensemble comparable là une voûte très surbaissée. Ces lamelles sont fixées par leurs faces inférieures aux maillons de trois chaînes plates en acier qui s’enroulent sur les pignons correspondants des faux essieux dont elles produisent l’entraînement. Avec cette disposition le brin moteur du tablier est en quelque sorte assimilable à une poutre rigide et dont la fibre moyenne affecterait la forme d’un arc de cercle de grand rayon qui roulerait sans glisser sur les pignons formant appuis. Les chaînes travaillent à la traction tandis que les lamelles de bois travaillent à la compression comme les voussoirs d’une voûte. L’absence de tout appui intermédiaire (qui pourrait être constitué par exemple par des galets roulant sur des rails de support) élimine tout frottement de glissement et, en définitive, le rendement de l’appareil est excellent. D’ailleurs tous les paliers de ce « Trottorail », compris les boîtes des essieux de roulement, sont pourvus de roulements à billes, de sorte que le coefficient de traction est très réduit.


Le changement de vitesse à « baladeur » ne présente rien de particulier. Il est enfermé dans un carter étanche fixé à l’un des longerons du châssis et disposé à l’intérieur du tablier lequel est d’ailleurs très facilement démontable.


Le Trottorail ne comporte comme on le voit, aucun organe délicat. Son tablier moteur est très robuste et constitue même jusqu’à un certain point, un organe de protection pour le mécanisme intérieur.


Les hommes qui l’actionnent peuvent, en cours de route, se remplacer facilement sur le tablier moteur et prendre à tour de rôle un repos plus ou moins long.


Pour l’utilisation de l’appareil, il y a lieu de considérer la rampe maximum du profil en long de la voie, puisque le coefficient de traction est toujours faible relativement à la résistance due aux rampes. Pour fixer les idées, nous allons calculer sommairement les rampes maximum qu’un tel véhicule peut gravir à ces trois vitesses et avec sa charge normale, soit six hommes en tout.


  • Désignons, pour plus de généralité, par :
    • P le poids de l’appareil, soit : P = 300 kg
    • π le poids moteur, soit 3 hommes à 70 kg π = 240kg
    • Q le poids utile transporté en plus de π : Q = 240 kg
    • i l’inclinaison du tablier sur l’horizontale : i= 0,32
    • r la rampe d’équilibre (au-dessus de laquelle le poids moteur serait insuffisant pour faire progresser le véhicule
    • f le coefficient de traction : f = 0,003
    • e le rendement global du mécanisme, environ : e = 0,60


  • Nous supposons que l’allure moyenne la plus favorable des hommes sur le tablier, corresponde pour celui-ci à une vitesse horizontale de 0,80 m par seconde (soit 2 880 m à l’heure ce qui n’a rien d’excessif sur une rampe de 032 mètre par mètre). Les trois vitesses correspondantes du véhicule sont alors les suivantes :
    • Petite : 8 km/h
    • Moyenne : 15 km/h
    • Grande : 25 km/h


L’équilibre dynamique du système, animé d’une vitesse constante V en km/h, se traduit par l’équation suivante : π (i + r) x 0.80 x e = (P + π + Q) f + r) xV/3,6


  • Avec les données numériques ci-dessus, on trouve pour la résistance totale (f + r) et la rampe d’équilibre r les valeurs suivantes exprimées en millièmes :
    • Petite vitesse : (8 km) f + r1 = 20,1 mm r1 = 17,1 mm
    • Moyenne vitesse (15 km) f + r2 = 10,7 mm r2 = 7,7 mm
    • Grande vitesse (25 km) f + r3 = 6,4 mm r3 = 3,4 mm


Ce calcul montre que l’appareil pourra être avantageusement employé sur des lignes moyennement accidentées.


Ces résultats ont été confirmés par les essais effectués sur le premier tronçon de la ligne de Nice à Coni.


En résumé, l’appareil dont nous venons de donner les caractéristiques essentielles est susceptible de rendre des services appréciables en assurant une notable économie de temps et par suite, une meilleure utilisation de la main d’oeuvre d’entretien de nos voies de chemin de fer. Léger et robuste il se manie, s’enraille et se déraille facilement sans précaution spéciale ni crainte d’avarie.


Sa manoeuvre ne nécessite aucun apprentissage des hommes appelés à s’en servir. Son fonctionnement est immédiat et ne nécessite aucune opération préalable. Sa vitesse est suffisante pour les besoins ordinaires du service.


Le principe du Trottorail peut être appliqué aux véhicules individuels légers qu’utilisent les Agents vérificateurs de la voie et qui, munis de leurs outils de réparation, ont d’assez grandes distances à parcourir.


Ces appareils individuels, à peine plus lourds qu’une bicyclette ordinaire, peuvent être enraillés et transportés par leur conducteur avec la plus grande facilité.