RGCF janvier 1934 : protection contre les avalanches de la ligne de Saint-Gervais-les-Bains - Le-Fayet à la frontière suisse

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Titre

Construction de galeries couvertes et d’ouvrages d’art pour la protection contre les avalanches de la ligne de Saint Gervais les Bains - Le Fayet à la frontière suisse par M. Oudotte, Ingénieur principal attaché au service de la Voie du PLM

Planche et figures de l’article

Article

La circulation des trains sur la section des Tines à Montroc présentait, en hiver, de réels dangers par suite de la fréquence d’importantes avalanches provenant de divers couloirs situés au flanc de la montagne.


On décida d’exécuter des galeries de protection de la ligne, du type de celles établies en Suisse sur le Berne - Lötschberg - Simplon.


Cinq galeries de 75, 50, 65, 520 et 150 m de longueurs respectives furent ainsi établies.


Ailleurs, on évita la construction d’une longue galerie au moyen d’un mur « en chevron », destiné à rejeter les avalanches dans des ravins voisins.


La présente note indique le détail des travaux effectués et l’organisation des divers chantiers.

Tracé de la ligne entre les gares des Tines et de Montroc-le-Planet

Au delà de la gare des Tines (altitude 1 082 m, PK 22,977) la ligne électrique à voie métrique de Saint-Gervais-les-Bains - Le-Fayet à la frontière suisse, remontant la vallée de Chamonix et traversant l’Arve dont elle suit la rive droite, s’élève brusquement par deux rampes de 70 mm et de 20 mm par mètre, sur un parcours de près de 5 km, jusqu’à la gare d’Argentière (altitude 1 244 m, PK 27,298), en passant au pied du massif de Chesery et des Aiguilles Rouges.


A la sortie de la gare d’Argentière, la ligne traverse, à nouveau l’Arve, longe le pied du massif du Planet et, par une nouvelle rampe de 70 mm sur 2 km environ, franchissant pour la troisième fois le torrent dans une gorge étroite, sur un viaduc de 82 m de longueur, atteint, à la cote d’altitude de 1 365 m et au PK 29,500, la gare de Montroc-le-Planet, point culminant de la ligne, située à la croisée des chemins conduisant au col de Balme et au col des Montets.


Sur tout ce parcours, la ligne traverse de nombreux couloirs d’avalanches qui proviennent des contreforts rocheux des Aiguilles Rouges et du massif rocheux situé entre les glaciers d’Argentière et du Tour.

Conditions d’exploitation de ce tronçon de ligne avant la construction des ouvrages contre les avalanches

Etant donné l’abondance des précipitations neigeuses dont les hauteurs cumulées atteignent, sur le tracé de la ligne, au cours de chaque hiver, des moyennes de 4,30 m aux Tines, 6,20 m à Argentière et 7,30 m à Montroc-le-Planet, la circulation d’hiver des trains sur ce tronçon présentait une difficulté exceptionnelle.


Toutefois, cette difficulté n’aurait pas constitué à elle seule un obstacle insurmontable et aurait pu être résolue par l’emploi des chasse-neige à éperons et d’un puissant chasse-neige rotatif déjà en usage sur la ligne, pour le tronçon Saint-Gervais-les-Tines, mais la circulation présentait de réels dangers par suite de la fréquence et de l’importance des avalanches provenant des couloirs signalés plus haut.


Plus de 50 avalanches sont en effet tombées sur la voie, de 1919 à 1928, et l’ont recouverte sur des longueurs atteignant jusqu’à 200 m et sur des hauteurs variant de 1 à 8 m.


Aussi, la circulation des trains était-elle interrompue chaque année, à partir des Tines, du 3 Novembre au 30 Avril. Cette interruption entraînait la fermeture de la ligne jusqu’à Vallorcine.

Premiers essais pour prolonger la circulation d’hiver au delà des Tines

La pratique des sports d’hiver se développant de plus en plus et les terrains de skis à proximité de Chamonix étant plus rares, depuis longtemps la question s’était posée de pouvoir mettre à la disposition des hivernants de la vallée, les vastes champs de neige ensoleillés des cols de Balme et des Montets.


En 1913, en vue du prolongement de la circulation des Tines jusqu’à Argentière, la Compagnie avait accepté de participer aux travaux de défense contre les avalanches, projetés dans le massif de Chesery par le Service des Eaux et Forêts, et d’exécuter elle-même divers travaux de protection de la ligne contre les amoncellements de neige, entre les Tines et Argentière.

  • Les travaux projetés par l’Administration des Eaux et Forêts comportaient :
    • La fixation des neiges dans les bassins de formation des avalanches, vers les cotes 1 800 et 2 000, au moyen d’obstacles, tels que murs en pierres sèches, barrages en fer à poutrelles scellés dans le rocher et moisés entre eux, pieux et banquettes,
    • La rectification des pentes au-dessous des bassins de formation et des couloirs, au moyen d’ouvrages analogues, mais plus espacés,
    • Le reboisement, d’une manière intensive des surfaces ainsi traitées.


Les travaux de protection contre les amoncellements de neige, étudiés par la Compagnie, consistaient en travaux de dérasement de talus de six tranchées étroites qui constituaient, sur la ligne, de véritables bassins d’accumulation de neige, infranchissables l’hiver.


Le projet interrompu par la guerre a été repris dès 1920 et l’ensemble des travaux fut exécuté en 1921.


Malheureusement, l’ensemble des mesures prises en haute montagne par le Service des Eaux et Forêts ne donna pas les résultats escomptés, et, après un très court essai d’exploitation de notre ligne entre Chamonix et Montroc-le-Planet, nous avons dû, en raison de la persistance des chutes d’avalanches, suspendre toute circulation d’hiver, sur cette partie de ligne, dès Février 1922.

Principes des mesures de défense prises pour protéger la ligne

Puisqu’on n’avait pu arrêter les avalanches dans leurs bassins de formation, la seule solution qui semblait possible consistait, soit à dévier l’avalanche pour l’empêcher d’atteindre la ligne, soit, plus généralement, à la faire passer par-dessus le chemin de fer, au moyen de galeries couvertes, et à la diriger ainsi vers le fond de la vallée, sans apporter d’obstacle à la circulation des trains.


Cette dernière méthode a été employée fréquemment sur les chemins de fer suisses, notamment sur la ligne de Berne – Lötschberg - Simplon.


Il fallait toutefois, pour donner à cette méthode son maximum d’efficacité, sans pouvoir d’ailleurs garantir une efficacité absolue, un repérage aussi exact que possible des couloirs et des chutes d’avalanches. Ce travail a été fait par les Services de la Compagnie, avec le concours des habitants du pays.


Il a montré que, jusqu’en 1923, les avalanches importantes susceptibles de compromettre la sécurité de la circulation provenaient surtout du massif de Chesery et descendaient par les couloirs de Bois Brûlé, de la Corne à Boue et du Plagnolet, situés entre les PK 25,500 et 26,300 (Figure 1).


Pendant l’hiver 1923-1924, deux nouvelles avalanches importantes et non encore repérées se sont manifestées : l’une descendant des Aiguilles Rouges, reprenant sans doute un couloir très ancien, ravagea la forêt et le plateau de la Chauffriaz, se divisant en deux parties et tombant sur la voie vers les km 24,080 et 24,500, l’autre, descendant du couloir de Chantay, fut déviée sur la voie aux km 28,121 et 28,271, par suite de la construction récente d’un mur en chevron destiné à protéger un hôtel situé sur le plateau.


Depuis 1924, la situation semblait s’être stabilisée.


C’est sur ces données statistiques que le projet a été établi.

Dispositions réalisées

Le projet présenté par la Compagnie reçut l’approbation ministérielle le 18 Avril 1930. Les travaux ont été exécutés en totalité au cours de la même année.

  • Les dispositions essentielles du projet sont les suivantes :
    • Établissement, au droit de la cascade de Chesery, à 55 m au-dessus de la ligne, d’un mur en chevron destiné à rejeter les avalanches descendant de la cascade, dans deux ravins voisins. Le mur en chevron (Figure 2) établi à la cote 1 265, comporte, au pied de la cascade de Chesery, un éperon de plus de 12 m de hauteur et de 9 m d’épaisseur à sa base, continué à droite et à gauche, le long des deux ravins, par deux branches de 40 m de longueur environ. Ces deux branches sont constituées par un mur de hauteur régulièrement décroissante, de 12 à 5 m et de fruit variable de 1/5 à 1/2 formant versoir pour diriger la neige, sans à-coups, dans les ravins. La construction de ce mur a évité celle d’une longue galerie à, établir, au droit de la sous-station des Iles, galerie qui aurait nécessité, étant donné la configuration générale du terrain, un remblaiement extrêmement important.
    • Etablissement, au droit des couloirs d’avalanches reconnus, de galeries couvertes constituées comme il est dit ci-après (Figures 3 et 4).
  • Ces galeries sont au nombre de 5 :
    • Galerie de 75,70 m de longueur du km 24,030 65 au km 24,106 35.
    • Galerie de 50,70 m de longueur du km 24,483 60 au km 24,534 30.
    • Galerie de 65,70 m de longueur du km 25,620 au km 25,685 70.
    • Galerie de 520,30 m de longueur du km 25,779 25 au km 26,299 55.
    • Galerie de 150,70 m de longueur du km 28,121 au km 28,271 70.


La longueur de ces galeries et leur position kilométrique ont été déterminées d’après la documentation statistique recueillie par les Services de la Compagnie au sujet des avalanches et en tenant compte, pour chacune de celles-ci, des dimensions maxima des couloirs préexistants et de l’épanouissement maximum des avalanches arrêtées sur la voie.


Les galeries sont constituées (Figures 5 et 6) par une dalle en béton armé de 0,30 m d’épaisseur, ayant une pente transversale uniforme de 0,25 m par mètre, encastrée, côté montagne, dans un mur de soutènement robuste en béton ordinaire. Cette dalle s’appuie, côté vallée, sur un linteau de 0,50 m de hauteur, reposant sur des piliers en béton armé de 0,50 m de largeur, espacés généralement de 5 mètres.


A la traversée de petits ravins que la voie franchit par des aqueducs, les distances entre piliers ont été portées de 5 à 10 m et le linteau d’appui de la dalle à une hauteur exceptionnelle de 0,90 m.


Ce linteau a été établi de manière qu’un voyageur debout dans son compartiment puisse toujours voir le beau panorama de la chaîne du Mont Blanc et des Aiguilles.


La dalle est capable de résister à une surcharge de 1 500 kg par mètre carré, elle comporte, tous les 30 mètres, des joints de dilatation transversaux avec couvre-joints métalliques (Figure 7).


Les piliers reposent en général sur le terrain naturel, à une profondeur variant de 3 à 4 m, sauf toutefois au droit des murs de soutènement préexistants, sur lesquels ils trouvent directement leur appui.


Les terres de remblai rapportées derrière le mur de soutènement sont réglées, avec une pente de 0,25 m par mètre, dans le prolongement du toit de la galerie, de manière que celle-ci ne fasse, en aucun cas, point singulier dans le profil général du terrain.


A son raccordement avec le terrain naturel le remblai présente des déclivités progressivement croissantes pouvant aller jusqu’à 0,80 m par mètre.


En outre, au droit des extrémités des galeries, les terres de remblai sont limitées par une partie surélevée d’environ 1,50 m formant versoir, afin d’éviter les débordements latéraux des avalanches.


La largeur libre entre le mur, côté montagne, et les piliers et la hauteur libre minimum au-dessus du rail, sont respectivement de 4,25 m et de 4,30 m respectant largement le gabarit de la voie (Figure 5).


Dans la partie haute du mur de soutènement, côté montagne, et sous la toiture de la galerie, des consoles supportent les lignes à haute et basse tension et la ligne téléphonique.

Montant des dépenses

Le montant total des dépenses de construction s’élève, tous frais généraux compris, à 6 200 000 francs, la Commune de Chamonix ayant participé à ces travaux pour la somme forfaitaire de 3 500 000 francs.

Exécution des travaux

Les travaux ont commencé dès l’approbation du projet, soit en Avril 1930, époque à laquelle la fonte des neiges était suffisamment avancée pour entreprendre les premières fouilles.


Il s’agissait d’exécuter, pendant la belle saison, c’est-à-dire en l’espace de 8 mois, 25 000 m3 de béton et de maçonneries de moellons, dont 5 400 m2 de dalle armée et près de 50 000 m3 de terrassements sur des chantiers dispersés, ayant une longueur totale de 860 m répartis sur plus de 4 kilomètres, le tout dans un pays accidenté, dans une région uniquement desservie par des trains à marche lente et à tonnage restreint, sur un parcours éloigné de tous chemins d’accès.


Les difficultés de ces travaux qui se présentaient, au point de vue technique, avec une réelle simplicité, résidaient donc principalement dans l’approvisionnement à pied d’oeuvre des matériaux nécessaires : acier (250 t), chaux (près de 1 000 t), ciment (2 500 t), bois de coffrage, sable, gravier et même pierre cassée, les abords immédiats des chantiers ne donnant que peu de matériaux propres à l’exécution du béton.


Tout d’abord, les principaux centres d’extraction des matériaux de construction furent les suivants :


Pour la construction du mur de soutènement et des piliers

  • Une carrière de gravier tout venant, ouverte au lieu dit La Joux, au voisinage du chemin de fer, au point kilométrique 25,340, exploitée par pelle et desservie par voie d’embranchement,
  • Un éboulis situé aux abords de la galerie n° 1 qui fut équipé avec un concasseur. La pierre cassée était mélangée au gravier tout venant de la carrière de La Joux.
  • En particulier, pour la galerie n° 4, longue de 520,30 m, deux sablières installées au lieu dit Les Chozalets, à 50 m environ au-dessous du chemin de fer et à 500 m de celui-ci, dans un ancien lit de l’Arve où une double déviation du torrent a apporté, en période de crues, c’est-à-dire pendant tout l’été, un sable et un gravier lavés, d’excellente qualité.


Ces sablières furent équipées avec concasseur pour mélanger, au sable et gravier, une proportion convenable de pierre cassée provenant des gros galets de l’ancien lit.

Pour la construction de la dalle des galeries

Une carrière sise dans le lit de l’Arveyron, à proximité de la gare des Praz-de-Chamonix, qui donnait un gravillon homogène, bien calibré, de très bonne qualité.


Les moyens de transport mis en oeuvre ont présenté les particularités suivantes :

Un train de service a circulé d’une manière continue, plusieurs fois par jour, depuis Avril, pour amener, sur les chantiers des cinq galeries, les matériaux venant de l’extérieur : aciers, chaux et ciments, pour assurer la distribution des bois de coffrage et, dans les limites indiquées ci-dessus, l’approvisionnement du gravier, de la pierre cassée et du gravillon, respectivement extraits de la carrière de La Joux, de l’éboulis de la galerie n° 1 et de la carrière de l’Arveyron.


Dans chaque chantier, le béton du mur de soutènement, fait sur place, était distribué tout le long des galeries par le moyen de monte-charges, d’estacades et de wagons Decauville.


Mais les moyens d’approvisionnement furent peu à peu renforcés : quatre téléfériques furent successivement installés.


Les deux premiers, établis côte à côte aux sablières des Chozalets et dirigés en éventail vers deux points de la galerie n° 1 convenablement choisis pour réduire au minimum la distance moyenne de transport, ont assuré, avec une vitesse suffisante, le transport direct du béton nécessaire à la construction de cette galerie. Une bétonnière était adjointe au concasseur déjà installé.


Le troisième, établi en bordure du chemin de Grande Communication n° 11, de Chamonix au Valais, a assuré, par-dessus le torrent de l’Arve, l’approvisionnement en béton de la galerie n° 1, la bétonnière précédemment installée gênant l’achèvement de la galerie.


Le dernier, installé entre la carrière de la Joux et le chantier du mur en chevron, a monté, jusqu’à ce chantier dépourvu de tout moyen d’accès, la chaux, le ciment, le sable et une partie des moellons nécessaires à la construction, la majeure partie de ceux~ci ayant été trouvée sur place, soit dans les fouilles, soit dans une carrière ouverte à proximité sur la rive gauche du ruisseau de Chesery.


L’outillage total du chantier comprenait ainsi : 4 téléfériques, 2 concasseurs, 6 bétonnières. L’énergie électrique était fournie par la Compagnie à partir du rail de prise de courant de la voie de Saint Gervais les Bains Le Fayet à la frontière suisse, et d’une ligne d’alimentation spécialement construite à cet effet.


Tous ces moyens combinés ont permis d’achever les travaux de construction des galeries, entre fin Août et fin Octobre 1930. De cette façon, le béton a eu un temps de durcissement suffisant avant la mise en charge par les remblais (courant Décembre) et l’époque de la chute des premières avalanches (fin Janvier).


Les remblais furent exécutés entièrement à la main, par suite de la proximité des chambres d’emprunt situées au flanc de la montagne. Ces dernières n’avaient d’ailleurs été autorisées que dans la mesure où leur création ne risquait pas de favoriser le passage ou de provoquer la formation des avalanches.


Les remblais furent commencés, suivant l’état d’avancement des galeries, dès les mois d’Août et Septembre, mais seulement dans les parties éloignées de celles-ci pour ne pas mettre les galeries prématurément en charge; ils furent achevés entièrement courant Décembre.


La totalité des travaux était ainsi terminée conformément au programme, et la ligue a pu rester ouverte à la circulation d’hiver.