Viaduc sur le Rhône à La Voulte, article de la Revue Générale des Chemins de Fer de novembre 1924

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Titre

Réparation et renforcement du viaduc sur le Rhône à La Voulte, par M. de Boulongne, Ingénieur en chef des ponts et chaussées, Ingénieur en chef des constructions métalliques au PLM

Planche et figures de l’article

Description de l’ouvrage

La ligne de Livron à Privas traverse le Rhône sur un pont en fonte comportant cinq arches de 55 mètres d’ouverture chacune. Cet ouvrage, construit avec beaucoup de soin en 1861, comportait de nombreuses cassures imputables à la grande rigidité des pièces d’assemblages et à l’emploi qu’on avait fait pour ces assemblages d’un mastic de fonte, qui s’est oxydé à la longue sous l’action de l’humidité. En raison de cet état nous ne pouvions laisser passer sur ce pont que les machines les plus légères du Réseau, ce qui constituait une grande gêne pour le Service de l’Exploitation. Avant la guerre nous avions étudié et l’Administration avait approuve un projet de remplacement de cet ouvrage par un pont à poutres droites. Mais l’exécution de ce projet fut ajournée du fait des hostilités.

Après la guerre, le projet fut définitivement abandonné en raison de la majoration du prix du métal et nous avons cherché une solution moins onéreuse permettant de conserver l’ouvrage en le renforçant par addition de métal et de béton armé. Ce nouveau projet, après approbation spéciale par le Conseil général des Ponts et chaussées et le Ministre des Travaux publics fut exécute en 1923. Il comporte des dispositions originales dont nous donnons ici une description sommaire, susceptible cependant de faire comprendre le mode de renforcement employé. On trouvera, dans la figure 1 et les planches 2, 3 et 4, les dessins nécessaires pour permettre de suivre les explications données.

Voici dans quelles conditions nous nous étions proposé de modifier et renforcer l’ouvrage

  • Remplacement des pièces d’assemblage en fonte reliant les arcs. Ces pièces d’assemblages qui comportaient de nombreuses avaries, ont été remplacées par des cadres en acier (Planche 3, figure 6 et planche 4, figures 1 et 4). Nous avons tout d’abord établi au droit de tous les joints de voussoirs ces cadres en acier fixés (sans percer aucun trou dans les arcs) au moyen de boulons utilisant les trous des boulons reliant les voussoirs entre eux. Après la pose d’un cadre, on enlevait l’entretoise en fonte correspondante. Ces divers enlèvements ont entraîné des difficultés et nécessité des précautions spéciales en raison de la nature du mastic métallique qui fixait les entretoises dans les boîtes venues de fonte sur les voussoirs.
  • Renforcement des parties faibles des arcs et surtout des semelles inférieures de voussoirs (Planche 4, figure s 1, 2 et 7). Le renforcement général des semelles inférieures des arcs a été obtenu par la pose de 2 gros ronds en acier de 36 mm de diamètre placés au niveau de la semelle inférieure, de part et d’autre des voussoirs et reliés à ceux-ci tous les deux mètres par des équerres en acier. Quelques ronds supplémentaires de même diamètre ont été posés, en outre, au droit de toutes les parties avariées des semelles. Les gros ronds en acier sont solidarisés entre eux, tous les 20 centimètres, par des aciers de 12 mm qui traversent l’âme du voussoir dans laquelle ils sont fortement calés, contournent les gros ronds puis se solidarisent avec les ronds d’armature de la dalle d’intrados qui passent sous la semelle des voussoirs. Les gros ronds et les aciers de 12 mm étaient donc déjà solidement reliés aux voussoirs avant tout enrobement de béton. Nous ferons remarquer notamment que le calage énergique des aciers de 12 mm à la traversée des voussoirs donne une assurance complète contre toute tendance éventuelle à un glissement du béton parallèlement à l’âme du voussoir. En raison de la grande portée des arcs, les gros ronds de 36 mm ont dû comporter trois tronçons. Mais au lieu d’appliquer la méthode habituelle du recouvrement nous avons cru mieux faire en réunissant les tronçons entre eux par des manchons filetés (Planche 4, Figure 8). A leurs extrémités sur les retombées des arcs, chacun des gros ronds a été fixé par boulons sur des pièces en acier boulonnées elles mêmes sur les sabots d’appui des arcs (Planche 4, Figure 8). Avec les dispositions envisagées, les gros ronds reliés aux voussoirs et fixés à leurs extrémités sur les sabots d’appui participeront à tous les efforts de traction ou de compression de la semelle inférieure et la soulageront efficacement. Notons en passant que le coefficient d’élasticité de l’acier était double de celui de la fonte, l’addition d’un rond en acier de 36 mm de diamètre est équivalent au point de vue du renforcement des voussoirs à l’addition de deux ronds en fonte de même diamètre.
  • Etablissement de dalles en béton armé pour solidariser les arcs entre eux au niveau de l’intrados et sous la voie.
    • Dalle d’intrados (Planche 4, figures 1 et 2). L’épaisseur normale de cette dalle, est de 0,10 m, mais elle est augmentée à la rencontre des 4 arcs. Les armatures sont réparties en deux nappes espacées de 65 mm. La nappe inférieure est constituée transversalement par des ronds de 12 mm qui passent sous les semelles inférieures en contournant les gros ronds de renforcement mais solidarisés avec d’autres ronds de 12 mm, traversant les âmes des voussoirs dans lesquelles ils sont solidement calés. La partie longitudinale de cette nappe inférieure est formée de ronds de 6 mm espacés de 0,20 m, renforcée à la clef par des ronds de 26 mm également espacés de 0,20 m. La nappe supérieure est formée de ronds de 6 mm espacés de 0,20 dans les deux sens. L’établissement de cette dalle d’intrados permettra la visite d’une partie quelconque du pont, sans qu’il soit besoin d’établir aucun échafaudage.
    • Dalle d’extrados vers les naissances. A l’extrados, sur une longueur d’environ 6,50 m, à partir des naissances, il a été établi une dalle en béton armé de 0,10 m d’épaisseur comportant des ronds de 6 mm, 12 mm et 26 mm répartis en 2 nappes espacées de 65 mm.
    • Dalle sous voies. La dalle sous voie a une épaisseur constante de 0,16 m, non compris les nervures transversales espacées de 1,10 m d axe en axe qui ont pour objet de solidariser verticalement les 4 arcs en reportant une partie des surcharges sur les arcs de rive. Les armatures principales de ces dalles et des nervures sont des ronds de 12 mm et de 22 mm. Les ronds de 22 mm traversent les arcs intermédiaires et les arcs de rive; ils sont fixés sur les arcs intermédiaires par des cales et sur les arcs de rive par des boulons (Planche 4, Figure 3)
  • Enrobement des tympans dans le sens transversal.

Les extrémités des dalles sous voies ne pouvant pas être solidarisées, avec les maçonneries en raison des petits déplacements dus aux variations de température, la stabilité transversale a été assurée par la rigidité des tympans dont les six derniers éléments ont été enrobés dans du béton armé afin de constituer des armatures particulièrement robustes dans le sens transversal.

  • Surélévation de la voie sur le viaduc. Tant pour faciliter l’exécution des travaux que pour permettre l’établissement de la dalle sous voie a un niveau convenable pour sa liaison avec les arcs et les tympans, nous avons été conduit à surélever la voie de 0,60 m dès le début des travaux et a titre définitif. Cette surélévation a été faite sans aucune interruption de la circulation. Pendant les travaux la voie était supportée par des tabliers provisoires de 5,30 m de portée reposant eux mêmes sur des poutres transversales portées par les arcs et tympans (Planche 3, figure 4).
  • Décapage au sable des parties métalliques à enrober.

Pour permettre une adhérence suffisante du béton sur des surfaces métalliques autres que des ronds de faible diamètre, il faut éviter toute interposition soit de peinture soit de matière grasse ou pulvérulente entre le béton et le métal. A cet effet toutes les parties à enrober ont été décapées au jet de sable.

  • Ciment employé.

Tout le béton employé a été exécuté avec du ciment artificiel « Demarle et Lonquety » de l’usine Couvrot, d’une résistance à la traction (pour du mortier plastique avec sable de Leucate) de 20 kg par centimètre carré à 7 jours et 25 kg à 28 jours. Des essais ont été faits à chaque arrivée de ciment sur le chantier. Nous avons obtenu largement la résistance promise de 20/25. Les dernières livraisons ont même dépassé sensiblement ces limites et atteint 24 kg à 7 jours et 28 kg à 28jours. Le sable employé provenait du Rhône. Convenablement trié, il a donné des résultats presque équivalents à ceux obtenus avec le sable de Leucate. Le béton employé a été très régulièrement fait au dosage de 400 kg de ciment pour 400 litres de sable et 800 litres de gravier du Rhône. Il était plastique et a été fortement pilonné. Pendant une dizaine de jours après la prise on a eu soin de le recouvrir de sacs que l’on arrosait matin et soir.

  • Soudure à l’arc électrique

Nous avons eu l’occasion de nous renseigner, il y a environ deux, ans, sur les résultats intéressants de la soudure à l’arc électrique. Ce n’est pas, en général, sur les pièces en fonte que les résultats, sont les plus satisfaisants, néanmoins nous avons usé avec avantage de ce procédé de réparation au pont de La Voulte. Tout d abord nous avons pu réparer ainsi très convenablement les montants en fonte des garde-corps qui, en bien des points, étaient avariés et comportaient parfois de longues fentes dont la réparation par tout autre procédé eut été bien difficile. D’autre part le relèvement de 0,60 m de la soie sur l’ouvrage nous a obligé à relever aussi le trottoir. Le garde-corps actuel devenait, dès lors trop bas et nous avons du le surélever par des fers ronds soutenus par des pièces en fonte. Ces pièces en fonte auraient été difficilement fixées par boulons ou vis sur les têtes des piliers de garde-corps, tandis qu’elles ont été fixées très facilement, très proprement et très solidement au moyen de la soudure à l’arc électrique. Enfin, nous avons cru bien faire en faisant souder superficiellement sur les deux faces toutes les fentes qui existaient dans les pièces en fonte du Viaduc. Nous comptons avoir ainsi quelque peu renforcé ces pièces ou tout au moins avoir prévenu toute aggravation des avaries.

Calculs

Le calcul du pont renforcé a présenté quelques difficultés et, par conséquent, quelque intérêt, mais nous ne pouvons songer à ingérer ces calculs assez longs dans la présente note.

Vérifications expérimentales

La décision ministérielle du 28 Avril 1922 approuvant le projet à de renforcement du viaduc sur le Rhône à la Voulte avait prescrit qu’il soit rendu compte à l’Administration des résultats des vérifications expérimentales que la Compagnie devait effectuer avant et après le renforcement de l’ouvrage.

  • Trois opérations d’auscultation ont été effectuées :
    • Avant renforcement, en utilisant la surcharge de machines légères,
    • Après renforcement, en utilisant la surcharge des mêmes machines légères qu’à l’opération précédente,
    • Après renforcement, en utilisant la surcharge de machines « Pacific ».

On a constaté que, sous les mêmes surcharges, les coefficients de travail de la fonte après renforcement ne sont plus que le tiers, parfois le quart et même le cinquième, des coefficients aux mêmes points avant renforcement.

D’autre part, on a pu constater combien le renforcement a augmenté la stabilité- d’ensemble du viaduc, car, après la dernière vérification expérimentale, nous avons fait passer, à deux reprises, sur le viaduc, à la vitesse de 45 km/h un train de 3 machines « Pacific » attelées ensemble et aucun mouvement de trépidation sensible n’a été perçu.

Dépenses

Comme nous l’avons dit au début de cette note, le but et l’intérêt principal du projet exécuté était de réaliser une économie sérieuse par rapport aux dépenses qu’aurait entraînées le remplacement de l’ouvrage. Notre espérance a été réalisée pleinement car la dépense totale du renforcement n’atteint pas le chiffre prévu de 2 millions, tandis que le remplacement intégral de l’ouvrage aurait entraîné une dépense de 4,5 millions à 5millions.

Conclusion

Les résultats des trois vérifications expérimentales nous ont montré que les espérances escomptées lors de la présentation du projet ont été pleinement réalisées et même dépassées. Notre ouvrage dont la stabilité d’ensemble a été notablement accrue, est maintenant en état de supporter la circulation de nos plus lourdes machines. Ce résultat obtenu par un procédé nouveau nous a permis cependant de réaliser une économie sérieuse sans sacrifier l’aspect général de l’ouvrage, comme on peut s’en rendre compte sur les photographies (figures 2 et 3) qui donnent l’aspect d’une arche avant et après les travaux. Une décision du Ministre des travaux publics du 11 avril 1924 a bien voulu constater que « ces résultats doivent être considérés comme très satisfaisants ».