10 mars 1886, Roquebrune Monte-Carlo : Différence entre versions

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===La polémique dans la presse===
 
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''Ce qui se passe dans,les mines se passe dans-les chemins de fer: C’est toujours aux gueux la besace. A la suite de l’affreuse catastrophe de Monte-Carlo, vous vous imaginez peut-être que le remords est entré dans l’âme des directeurs de la Compagnie P.-L.-M.? Vous croyez sans doute qu’ils ont compris que leur cupidité venait de causer la mort ou la mutilation d’une trentaine de personnes et qu’ils ont, en conséquence, résolu de remplacer par une double voie la voie unique sur la quelle une rencontre, étant donné le nombre de trains mis en circulation tous les jours de Nice à Monaco, devait inévitablement se produire? Débarrassez vous promptement de cette illusion. A peine la nouvelle du sinistre a-t-elle été connue, que la Compagnie s’est empressée de faire déclarer que les coupables ne pouvaient être que le chef de gare de Roquebrune et celui de Monte-Carlo; peut-être tous les deux, mais, à coup sûr, l’un ou l’autre. Il n’y a qu’une voie, il y passe quotidiennement soixante, convois et quand un des chefs de gare se trompe ; quand il a sommeil, ce qui peut arriver à tout le monde, quand sa tête est lourde et que sa mémoire lui fait un instant défaut, c’est lui le criminel, le responsable, le meurtrier par imprudence. Et soyez sûrs qu’un de ces malheureux sera traîné en cour d’assises, et qu’au besoin l’ingénieur coupable d’avoir négligé d’attacher un frein aux wagons viendra déposer, du haut de ses quarante mille francs d’appointements, contre ce pauvre employé à douze cents francs, qui sera envoyé pour deux ou trois ans dans quelque maison centrale, sans avoir seulement le droit de s’écrier : « Mais le véritable auteur de l’accident, ce n’est pas moi : ce sont les êtres voraces qui, de peur de rogner leurs bénéfices, entassent des milliers de voyageurs sur une seule ligne, quand la plus enfantine prudence les obligerait à en avoir deux ! ». Tant qu’un bon directeur, portant un nom bien sonore, n’aura pas, à la suite d’un malheur comme celui d’avant-hier, expié par quelques années de réclusion sa rage de faire dès économies aux dépens du public, nous serons exposés aux événements dont la Compagnie P.-L.-M. semble avoir depuis quelque temps soumissionné le monopole. Je vous demande en quoi les administrateurs du P.-L.-M. peuvent s’inquiéter de voir le chef de gare de Roquebrune aller en prison? Ils lui donnaient douze cents francs; ils le remplaceront par un autre à qui ils n’en donneront plus que mille; et l’écrabouillement de trente voyageurs aura ainsi rapporté deux cents francs aux actionnaires. Ah ! si l’on flanquait pour un temps sérieux le président du conseil d’administration à Clairvaux ou à Poissy, à la suite d’une de ces capilotades de touristes, vous apprendriez dès le lendemain que les freins les plus ingénieux viennent d’être adaptés aux wagons et que la seconde voie en projet depuis cinq ans va être exécutée en moins de six mois. Malheureusement, jamais l’aurore de cette justice n’ouvrira les portes dé notre Orient. L’État a signé avec les grandes Compagnies des conventions qui leur permettent non seulement d’élever démesurément leurs tarifs , mais encore d’exterminer leurs clients. Il faut mourir, frères et il faut mourir sans nous plaindre car la plus petite réclamation de notre part affligerait profondément M. Raynal, M. Rouvier, M. Ferry, enfin tous les hommes que le spectacle de leurs vertus nous a appris à respecter. On nous assure, au dernier moment, que l’infortuné chef de gare de Roquebrune (1,200 francs d’appointements pour quinze heures de travail) s’est suicidé de désespoir. Nous plaignons profondément cette victime des monopoles, cependant, nous ne pouvons, en même temps, nous empêcher de la blâmer. Ceux qui auraient dû se faire ainsi justice, ce sont le président du conseil d’administration et ses collègues. Mais ils n’ont aucune envie de se punir eux-mêmes des fautes qu’ils commettent, et qu’ils préfèrent de beaucoup faire expier aux autres. Perdre la vie pour si peu ! Allons donc ! Ils n’en perdront même pas un jeton de présence.
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'''- HENRI ROCHEFORT .'''
  
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Journal L'intransigeant du 14-3-1886 (Collection BNF-Gallica)
  
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Version du 8 juin 2018 à 17:20

Circonstances de l’accident

La catastrophe vue par la presse

Toujours P.-L.-M.. LA CATASTROPHE DE MENTON. 4 MORTS — 32 BLESSÉS. Depuis quelque temps, la Compagnie de Paris-Lyon-Méditerranèe qui a acquis une si triste célébrité, due aux nombreux accidents imputables à son incurie et à sa mauvaise administration, n’avait pas fait parler d’elle. Cela ne pouvait durer. Hier, on annonçait une terrible catastrophe de chemin de fer : deux trains précipités à la mer, des morts, des blessés. Inutile de demander sur quelle ligne cet épouvantable accident s’est produit : c’était tout naturellement sur le P.-L.-M.. Le Train mixte 483, partant de Nice à trois heures et allant à Vintimille, a rencontré ta train mixte n° 502 partant de Menton et se dirigeant vers Nice. La rencontre a eu lieu sur cette voie unique, à un tournant et dans un endroit où le vide vient immédiatement après le rocher, entre Cabbé-Roquebrune et Monte-Carlo, à deux kilomètres de cette dernière station. La violence du choc a été terrible; les locomotives sont entrées l’une dans l’autre. Les wagons, après être montés les uns1 sur les autres, se sont écrasés avec une telle violence qu’ils ont pour ainsi dire été réduits eu miettes. Un de première, un de seconde, et un de troisième classe, trois wagons franchissant le parapet, sont tombés dans la mer d’une hauteur de soixante quinze mètres. On les a retrouvés à l’état de véritable hachis. Ceux restés sur la voie forment une montagne de débris absolument informes. Des roues de wagons, des portières, des tampons, des chaînes pendent le long du parapet au-dessus du gouffre. Le spectacle est horrible. Des planches brisées émergent, des femmes et des enfants, tout ruisselants de sang. La recherche des morts et des blessés avec des flambeaux et des torches était une des choses les plus émouvantes que l’on pût voir. Les secours ont été rapidement organisés. A la nouvelle de l’accident, M. Catusse, préfet des Alpes-Maritimes, s’est transporté sur les lieux; en même temps, M. Chartra, directeur général de l’administration des bains de mer, a fait transporter les caisses de secours du Casino. L’hôtel de Paris a mis immédiatement à la disposition du service d’ambulance deux salles de dortoir et des omnibus pour transporter les blessés, auxquels les docteurs Kullmann, Guérard, Renaud et Hugues ont donné les premiers soins. L’accident s’est produit à un kilomètre de Monte-Carlo. Le déblaiement a été très difficile, la nuit étant arrivée presque aussitôt après l’accident. Dès le petit jour on a travaillé activement à débarrasser la voie. Le transbordement des voyageurs se fait, de la gare de Monte-Carlo à Menton, par omnibus. A chaque instant on retrouve des blessés. Le corps du malheureux Féraud, conducteur du train, n'a pas encore été retrouvé. Quatre personnes ont été tuées ; parmi elles se trouvent M. Dommergue, mécanicien, et Ferrero, entrepreneur italien. Jusqu’à présent, on connaît trente-deux des blessés, dont douze très grièvement. Le mécanicien du train 483 est mort. Celui du train 502 a été tamponné entre les deux machines. Il est encore vivant, mais il paraît perdu. Le malheureux est resté pris sous un amoncellement de ferrailles et de morceaux de bois. Parmi les blessés se trouve une famille entière, M. Prieur, son gendre, sa fille, sa petite-fille, âgée de seize ans. Mme et Mlle Tesseyre; femme et fille de l’ancien gérant de la Liberté, ont reçu de graves blessures. Une petite fille de deux ans, qui est tombée dans la mer a été retirée miraculeusement avec une simple égratignure. Un voyageur, tombé également dans la mer, a eu un bras cassé. Un enfant de treize ans, qui a été aussi précipité, a eu les deux bras brisés, il appelait son père, qui est parmi les morts. Mme Prieur a subi l’amputation des deux jambes. L’entrepreneur Ferrero laisse cinq enfants; Une pauvre femme est morte en apprenant que sou mari était dans le train. Les trains devaient se croiser à Cabbé-Roquebrune; au lieu de cela, on les a fait partir, la voie n'étant libre. A qui la faute? Est-ce au chef de gare de Monte-Carlo ou à son collègue de Cabbé-Roquebrune? C’est ce que l’enquête apprendra certainement Il est, en tout cas permis, pour le moment, de constater que le train 483 avait neuf minutes de retard en quittant la gare de Monte-Carlo. On croit que la rencontre des trains est due à un faux signal donné par le chef de gare de Roquebrune, celui-ci, ignorant sans doute que le train venant de Nice avait été dédoublé, avait laissé passer le train partant pour Nice.

On télégraphie de Monté-Carlo, 11 mars soir : Le déblaiement continue ; la voie est très resserrée à l'endroit où a eu lieu la collision. Le conducteur Féraud a été retrouvé à deux heures, couché sur le coté et écrasé. Il a dû être tué sur le coup. Une foule énorme de curieux arrive de Nice par tous les trains. L’accident est arrivé sur le territoire monégasque. On dit que le signal à été donné par la gare de Roquebrune ; le train de Monté-Carlo est parti ensuite, puisque l’accident est arrivé à deux kilomètres de Monté-Carlo. Plusieurs des blessés vont bien.

Journal L'intransigeant du 13-3-1886 (Collection BNF-Gallica)


L’Accident de Menton.

le déblaiement. Le travail de déblaiement est poussé avec une grande activité. Pour dégager la voie pluns rapidement, on jette à la mer une partie du matériel. Les pièces trop importantes sont arrachées des débris au moyen de deux locomotives munies de cordes très fortes.

LES VICTIMES Voici 1e nom des victimes de cette terrible catastrophe : Morts. — M. Ferraro, entrepreneur à Vintimiile (laisse six enfants). — M. Domergue, mécanicien du train 502. — M. Féraud, conducteur-chef du train 502. — M. Laurent, chauffeur du train 502. Blessés. — M. Prieur, bijoutier à Paris, blessures grades aux jambes. — Mme Prieur; blessures graves aux jambes. — Mlle Prieur, blessures graves aux jambes. — Mme Tosseyn, artiste à Monaco, fractures aux jambes. — Mlle Tosseyn, artiste à Monaco, fracture» aux jambes. — M. Prève, journalier à Menton, lésions internes. — M. Lucchini, rentier à Marseille, côtes luxées, lésions internes. — Mme Gallot, de Samt-Ghamond, blessures graves des jambes. — Mme Novaro, fracture du bras gauche. — M. Novaro père, propriétaire à Vintimiile, quatre-vingt-cinq ans, blessures à la tête. — M. Novaro fils, chapelier à Nice, blessures à la tête et aux reins. — M. Roche, gérant de la taverne alsacienne à Monaco, fractures du bras. — Mme Daguino, couturière à Monaco, contusions à la poitrine et aux reins. — Mlle Daguino, couturière à Monaco, contusions à la poitrine et aux reins. — Mme Henger, artiste à Monaco, contusions légères. — M. Ferrari, sommelier à Nice, contusions à la poitrine et au poignet. — M. Perinardo, négociant à Menton, contusions aux mains et au côtes. — M. Roux, étudiant en droit à Marseille, contusions au poignet et à la jambe. — Mlle Chappal, artiste à Paris, contusions à la tête et à l’abdomen. — Mme Domange, mère de Mme Prieur, blessure aux jambes. — Mme Landrin, tailleuse à Vidauban, contusions au visage. — M. Novaro, enfant, de vingt-deux mois, égratignures au bras. — Mme Poinsot, femme du peintre-décorateur à Monaco. — Louis Roche, employé, fractures graves. — Mlle Henner, rentière. — Mme veuve Beck, rentière. — La famille Hu, blessures légères. Ce n’est qu’après une heure de travail acharné qu’on a fini par découvrir le corps de Féraud, le conducteur-chef du train 502. Pendant;, deux heures, on avait entendu ce malheureux pousser des cris affreux ; mais peu à peu les appels avaient diminué et, à dix heures du soir, lorsqu’on le retira des décombres, il avait cessé de vivre. Le cadavre se trouvait sur la plate forme du fourgon, entre les deux roues du tender ; il avait la tête appuyée sur le bras droit et avait une large blessure au front. Cet infortuné était marié et père d'un enfant.

LES RESPONSABILITÉS. Quant aux responsabilités, il est encore assez difficile de les établir. M. Paoli, commissaire spécial, a commencé l’enquête, qui est poursuivie également par MM. Berthulus, juge d’instruction à Nice, et Mercier, juge d’instruction à Monaco. Le nommé Didelot, facteur-chef de la gare de Cabbé-Roquebrune, a été mis en état d’arrestation. Cet employé avait cru, parait-il, que le train 483, venant de Nice et qui suit le 479, était déjà passé; c’est alors qu’il donna le signal du départ au train 502. Cet employé est estimé de ses chefs. Le chef de gare de Monte-Carlo est gardé à la disposition des autorités. Quant à ce lui de Roquebrune, il a disparu; le bruit court qu’il se serait suicidé.

RÉCIT D’UN TÉMOIN Une personne, qui se trouvait à la gare de Monte-Carlo au moment où l’accident s’est produit pour ainsi dire sous ses yeux fait des quelques secondes qui ont précédé la catastrophe un tableau vraiment saisissant, que nous croyons devoir reproduire; La catastrophe qui vient d’avoir lieu à la frontière monégasque a un caractère dramatique particulier. D’abord elle s’est accomplie sous les yeux de cinq ou six-cents personnes impuissantes à la prévenir, et c’est là un des points les plus passionnels, si je puis s’exprimer ainsi, de l’évènement. A cinq heures précises, le train 483 était en gare de Monte-Carlo avec un retard de neuf minutes. Des centaines de voyageurs en descendaient D’autres personnes en nombre plus considérable encore se préparaient a partir pour Nice par le train qu’on attendait de Menton. Il régnait sur les quais une animation extraordinaire. En ce moment je vis le chef de gare, à qui plusieurs personnes demandaient des renseignements. Il paraissait harcelé. Entrez dans mon bureau, dit-il à deux personnes, je vous entendrai tout à l’heure. Puis il courut s’occuper des bagages à ce qu’il m’a semblé. Tout à coup, le train se met en marche. Je vois encore le chef de train sautant au vol du fourgon des bagages. Le chef de gare eut en ce moment l’instinct du malheur qui allait arriver. Un homme d’équipe marchait devant lui : — Qui à signalé le train 483? demanda-t-il d’une voix changée par l’émotion. — Ce n’est pas. moi, répondit l’homme d’équipe. — Est-ce vous, alors? dit-il à un second employé. Non, monsieur. A cette réponse, le malheureux se prit la tête à deux mains et blêmit jusqu’à la lividité. Il ne fallut pas plus d’une seconde pour que la foule se rendît compte du danger que courait le train. Du reste la côte entre le cap Saint-Martin et Monte-Carlo; décrit une courbe telle que la voie entière était sous les yeux des spectateurs. On voyait, alors trois trains avec leurs colonnes de blanche famée. L’un, qui allait passer dans le tunnel Saint-Martin et qui ne courait aucun danger ; le second venait de quitter Cabbè-Roquebrune et s’avançait A toute vapeur contre celui qui s’éloignait de nous; On ne peut se faire une idée de l’anxiété qui serra la poitrine des quatre oui cinq cents spectateurs de cette scène. D’abord, chacun espéra que la collision n’aurait pas lieu. La côte est à découvert. — Ils se verront à temps disait-on de tous côtés. Le chef de gare ordonnait de sonner des cloches, de faire tout le bruit possible. Un cri formidable, surhumain, s’échappa des quatre cents poitrines oppressées. Et les deux panaches de fumée continuaient à se rapprocher. Ils ne se voyaient pas. Tout le monde faisait des gestes désordonnés. Une telle impuissance eu présence d'un tel péril est faite certainement pour rendre fou. Enfin le train venant de Menton a vu le danger et renverse sa vapeur. Mais l’autre, à cause de la courbe, ne voit rien et va toujours. Ils sont à deux cents mètres l’un de l’autre, à cent mètres, à dix mètres. Un frémissement horrible secoue La foule. Les femmes détournent la tète, pour ne pas voir. Un cri aigu retentit : c’est une jeune fille qui a une crise de nerfs. Le choc a lieu. On voit se dresser les deux trains l’un contre l’autre et, chose horrible deux ou trois wagons franchissant le parapet se précipitent sur les rochers, au bord de la mer. Une fumée épaisse enveloppe le tout. Blanc de désespoir, le chef de gare ne sait plus ce qu’il fait. De toute part ça crie. Des médecins ! des médecins! Chacun s’élance de son côté. Vingt-cinq ou trente personnes prennent par la voie et arrivent sur le terrain de l’accident. Rien né peut dépeindre ce spectacle, il faut avoir vu cela pour s’en faire une idée. D’abord, des deux wagons tombés d’une hauteur de trente mètres sur les galets et les rochers, il ne reste pour ainsi dire rien. Il semble qu’ils aient été réduits en poussière. Heureusement, ils ne contenaient que trois personnes. L'une d’elles a été tuée sur le coup. Par un miracle, les deux autres, ne sont que blessée», très grièvement à la vérité, mais on ne désespère pas de les Sauver. Les deux locomotives” s’étalent pour ainsi dire enfoncées l’une dans l’autre. Derrière et au-dessus d’elles, quatre voitures du train de Menton étaient empilées, broyées effroyablement. Un jeune homme, en courant de graves dangers, parvient à fermer les robinets, qui répandaient une vapeur aveuglante, et dès ce moment, sur la voie même, on se heurte aux blessés. Sous mes yeux, on en a retiré dix-sept plus où moins grièvement atteints. Presque sous mes pieds, j’aperçois un bras sur lequel mon voisin manque de marcher. On essaye de dégager la malheureuse à qui il appartient. Mais l’inextricable enchevêtrement de barres de fer, de poutres, de bois, de portières, de toitures, d'essieux, de vitres brisées, rend le sauvetage presque impossible.

DERNIÈRE DÉPÊCHE Monte-Carlo, 12 mars. MM. Laurent Ferdinand, chauffeur, Novaro Jacques et Mme Prieur ont succombé aux suites des blessures qu’ils ont reçues, dans l’accident d’avant-hier, ce qui porte à sept le nombre des morts.


Journal L'intransigeant du 13-3-1886 (Collection BNF-Gallica)



La polémique dans la presse

LES COUPABLES ET LES PUNIS... Ce qui se passe dans,les mines se passe dans-les chemins de fer: C’est toujours aux gueux la besace. A la suite de l’affreuse catastrophe de Monte-Carlo, vous vous imaginez peut-être que le remords est entré dans l’âme des directeurs de la Compagnie P.-L.-M.? Vous croyez sans doute qu’ils ont compris que leur cupidité venait de causer la mort ou la mutilation d’une trentaine de personnes et qu’ils ont, en conséquence, résolu de remplacer par une double voie la voie unique sur la quelle une rencontre, étant donné le nombre de trains mis en circulation tous les jours de Nice à Monaco, devait inévitablement se produire? Débarrassez vous promptement de cette illusion. A peine la nouvelle du sinistre a-t-elle été connue, que la Compagnie s’est empressée de faire déclarer que les coupables ne pouvaient être que le chef de gare de Roquebrune et celui de Monte-Carlo; peut-être tous les deux, mais, à coup sûr, l’un ou l’autre. Il n’y a qu’une voie, il y passe quotidiennement soixante, convois et quand un des chefs de gare se trompe ; quand il a sommeil, ce qui peut arriver à tout le monde, quand sa tête est lourde et que sa mémoire lui fait un instant défaut, c’est lui le criminel, le responsable, le meurtrier par imprudence. Et soyez sûrs qu’un de ces malheureux sera traîné en cour d’assises, et qu’au besoin l’ingénieur coupable d’avoir négligé d’attacher un frein aux wagons viendra déposer, du haut de ses quarante mille francs d’appointements, contre ce pauvre employé à douze cents francs, qui sera envoyé pour deux ou trois ans dans quelque maison centrale, sans avoir seulement le droit de s’écrier : « Mais le véritable auteur de l’accident, ce n’est pas moi : ce sont les êtres voraces qui, de peur de rogner leurs bénéfices, entassent des milliers de voyageurs sur une seule ligne, quand la plus enfantine prudence les obligerait à en avoir deux ! ». Tant qu’un bon directeur, portant un nom bien sonore, n’aura pas, à la suite d’un malheur comme celui d’avant-hier, expié par quelques années de réclusion sa rage de faire dès économies aux dépens du public, nous serons exposés aux événements dont la Compagnie P.-L.-M. semble avoir depuis quelque temps soumissionné le monopole. Je vous demande en quoi les administrateurs du P.-L.-M. peuvent s’inquiéter de voir le chef de gare de Roquebrune aller en prison? Ils lui donnaient douze cents francs; ils le remplaceront par un autre à qui ils n’en donneront plus que mille; et l’écrabouillement de trente voyageurs aura ainsi rapporté deux cents francs aux actionnaires. Ah ! si l’on flanquait pour un temps sérieux le président du conseil d’administration à Clairvaux ou à Poissy, à la suite d’une de ces capilotades de touristes, vous apprendriez dès le lendemain que les freins les plus ingénieux viennent d’être adaptés aux wagons et que la seconde voie en projet depuis cinq ans va être exécutée en moins de six mois. Malheureusement, jamais l’aurore de cette justice n’ouvrira les portes dé notre Orient. L’État a signé avec les grandes Compagnies des conventions qui leur permettent non seulement d’élever démesurément leurs tarifs , mais encore d’exterminer leurs clients. Il faut mourir, frères et il faut mourir sans nous plaindre car la plus petite réclamation de notre part affligerait profondément M. Raynal, M. Rouvier, M. Ferry, enfin tous les hommes que le spectacle de leurs vertus nous a appris à respecter. On nous assure, au dernier moment, que l’infortuné chef de gare de Roquebrune (1,200 francs d’appointements pour quinze heures de travail) s’est suicidé de désespoir. Nous plaignons profondément cette victime des monopoles, cependant, nous ne pouvons, en même temps, nous empêcher de la blâmer. Ceux qui auraient dû se faire ainsi justice, ce sont le président du conseil d’administration et ses collègues. Mais ils n’ont aucune envie de se punir eux-mêmes des fautes qu’ils commettent, et qu’ils préfèrent de beaucoup faire expier aux autres. Perdre la vie pour si peu ! Allons donc ! Ils n’en perdront même pas un jeton de présence. - HENRI ROCHEFORT .

Journal L'intransigeant du 14-3-1886 (Collection BNF-Gallica)




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