10 mars 1886, Roquebrune Monte-Carlo
Sommaire
Circonstances de l’accident
La catastrophe vue par la presse
Toujours P.-L.-M.. LA CATASTROPHE DE MENTON. 4 MORTS — 32 BLESSÉS. • Depuis quelque temps, la Compagnie de Paris-Lyon-Méditerranèe qui a acquis une si triste célébrité, due aux nombreux accidents imputables à son incurie et à sa mauvaise administration, n’avait pas fait parler d’elle. Cela ne pouvait durer. Hier, on annonçait une terrible catastrophe de chemin de fer : deux trains précipités à la mer, des morts, des blessés. Inutile de demander sur quelle ligne cet épouvantable accident s’est produit : c’était tout naturellement sur le P.-L.-M.. Le Train mixte 483, partant de Nice à trois heures et allant à Vintimille, a rencontré ta train mixte n° 502 partant de Menton et se dirigeant vers Nice. La rencontre a eu lieu sur cette voie unique, à un tournant et dans un endroit où le vide vient immédiatement après le rocher, entre Cabbé-Roquebrune et Monte-Carlo, à deux kilomètres de cette dernière station. La violence du choc a été terrible; les locomotives sont entrées l’une dans l’autre. Les wagons, après être montés les uns1 sur les autres, se sont écrasés avec une telle violence qu’ils ont pour ainsi dire été réduits eu miettes. Un de première, un de seconde, et un de troisième classe, trois wagons franchissant le parapet, sont tombés dans la mer d’une hauteur de soixante quinze mètres. On les a retrouvés à l’état de véritable hachis. Ceux restés sur la voie forment une montagne de débris absolument informes. Des roues de wagons, des portières, des tampons, des chaînes pendent le long du parapet au-dessus du gouffre. Le spectacle est horrible. Des planches brisées émergent, des femmes et des enfants, tout ruisselants de sang. La recherche des morts et des blessés avec des flambeaux et des torches était une des choses les plus émouvantes que l’on pût voir. Les secours ont été rapidement organisés. A la nouvelle de l’accident, M. Catusse, préfet des Alpes-Maritimes, s’est transporté sur les lieux; en même temps, M. Chartra, directeur général de l’administration des bains de mer, a fait transporter les caisses de secours du Casino. L’hôtel de Paris a mis immédiatement à la disposition du service d’ambulance deux salles de dortoir et des omnibus pour transporter les blessés, auxquels les docteurs Kullmann, Guérard, Renaud et Hugues ont donné les premiers soins. L’accident s’est produit à un kilomètre de Monte-Carlo. Le déblaiement a été très difficile, la nuit étant arrivée presque aussitôt après l’accident. Dès le petit jour on a travaillé activement à débarrasser la voie. Le transbordement des voyageurs se fait, de la gare de Monte-Carlo à Menton, par omnibus. A chaque instant on retrouve des blessés. Le corps du malheureux Féraud, conducteur du train, n'a pas encore été retrouvé. Quatre personnes ont été tuées ; parmi elles se trouvent M. Dommergue, mécanicien, et Ferrero, entrepreneur italien. Jusqu’à présent, on connaît trente-deux des blessés, dont douze très grièvement. Le mécanicien du train 483 est mort. Celui du train 502 a été tamponné entre les deux machines. Il est encore vivant, mais il paraît perdu. Le malheureux est resté pris sous un amoncellement de ferrailles et de morceaux de bois. Parmi les blessés se trouve une famille entière, M. Prieur, son gendre, sa fille, sa petite-fille, âgée de seize ans. Mme et Mlle Tesseyre; femme et fille de l’ancien gérant de la Liberté, ont reçu de graves blessures. Une petite fille de deux ans, qui est tombée dans la mer a été retirée miraculeusement avec une simple égratignure. Un voyageur, tombé également dans la mer, a eu un bras cassé. Un enfant de treize ans, qui a été aussi précipité, a eu les deux bras brisés, il appelait son père, qui est parmi les morts. Mme Prieur a subi l’amputation des deux jambes. L’entrepreneur Ferrero laisse cinq enfants; Une pauvre femme est morte en apprenant que son mari était dans le train. Les trains devaient se croiser à Cabbé-Roquebrune; au lieu de cela, on les a fait partir, la voie n'étant libre. A qui la faute? Est-ce au chef de gare de Monte-Carlo ou à son collègue de Cabbé-Roquebrune? C’est ce que l’enquête apprendra certainement Il est, en tout cas permis, pour le moment, de constater que le train 483 avait neuf minutes de retard en quittant la gare de Monte-Carlo. On croit que la rencontre des trains est due à un faux signal donné par le chef de gare de Roquebrune, celui-ci, ignorant sans doute que le train venant de Nice avait été dédoublé, avait laissé passer le train partant pour Nice.
On télégraphie de Monté-Carlo, 11 mars soir : Le déblaiement continue ; la voie est très resserrée à l'endroit où a eu lieu la collision. Le conducteur Féraud a été retrouvé à deux heures, couché sur le coté et écrasé. Il a dû être tué sur le coup. Une foule énorme de curieux arrive de Nice par tous les trains. L’accident est arrivé sur le territoire monégasque. On dit que le signal à été donné par la gare de Roquebrune ; le train de Monté-Carlo est parti ensuite, puisque l’accident est arrivé à deux kilomètres de Monté-Carlo. Plusieurs des blessés vont bien.
Journal L'intransigeant du 13-3-1886 (Collection BNF-Gallica)
LA CATASTROPHE DE MONTE-CARLO. Quatre morts, trente deux blessés.
Encore un accident effroyable dû à l'incurie et à la rapacité d'une grande Compagnie de chemin de fer. Et c'est sur la ligne de la Compagnie la plus riche de France, la Compagnie P.-L.-M., que cette catastrophe a lieu, sans qu'aucune circonstance permette de dégager sa responsabilité.
De Nice à Monte-Carlo.
Deux trains se sont rencontrés avant-hier soir, vers cinq heures, entre Roquebrune et Monte-Carlo, deux trains de voyageurs. La petite ligne de Nice à Vintimille fait, sur son parcours absolument insignifiant un trafic formidable. Le nombre de trains qui vont et viennent dans cette station, presque parisienne, durant cinq mois d'hiver, ne peut être comparé qu'aux trains qui font le service de la banlieue de Paris. C'est un va et-vient incessant de voyageurs et de marchandises, la plupart des Parisiens qui séjournent dans la région, se rendant chaque jour à Monte-Carlo. Or, chose incroyable de Nice à Vintimille, la ligne est à voie unique. C'est aussi invraisemblable qu'une voie unique de Paris à Vincennes ! Et il faut que les joueurs aient une chance étonnante pour qu'il ne se produise pas régulièrement une rencontra par semaine. Il a fallu aussi de la part des bureaux des travaux publics une tolérance extrême, et dont nous ne voulons pas approfondir les motifs, pour laisser aussi longtemps la vie des voyageurs exposée aux terribles conséquences des économies de la Compagnie P.-L.-M.. Il n'est pas besoin de réfléchir beaucoup pour se rendre compte, en effet, de la tension d'esprit imposée sans relâche aux chefs de gare de la ligne. Un moment de distraction; une minute d'absence ou d'oubli durant un long service de quinze à dix-huit heures sur une ligne où courent sans cesse des trains marchant à toute vapeur l'un sur l'autre, doivent provoquer des désastres. Cela n'était jamais arrivé, par hasard, par un pur hasard. Cela peut arriver dix fois en un mois sans étonner personne. La lugubre leçon d'avant-hier sera, nous l'espérons, un avertissement salutaire.
La catastrophe.
Voici quelques détails sur cet accident que la Compagnie a cherché à dissimuler d'abord, qu'elle s'efforce d'atténuer maintenant. La gare de Roquebrune a laissé passer, vers cinq heures du soir, le train 483 qui venait de Nice, et, un quart d'heure plus tard, la rencontre s'est produite avec le train 502 qui venait de Vintimille. Le mécanicien et le chauffeur du train de Nice ont aperçu le train de Vintimille, lancé à toute vapeur, à une courbe qu'on voit de la terrasse de Monte-Carlo. Ils ont sauté à terre et sont saufs. Le mécanicien et le chauffeur du train de Vintimille sont restés près d'une heure engagés sous la machine renversée. Ils ont été retirés, l'un mort, l'autre mourant. Les deux locomotives sont entrées l'une dans l'autre. Dix wagons se sont écrasés les uns dans les autres. Quatre ont été précipités par dessus le parapet en pierre qui borde la voie et sont tombés au pied de la falaise, à quelques mètres de la mer. Par un hasard heureux, il y avait peu de voyageurs dans ces quatre wagons. On a immédiatement organisé le sauvetage. Chacun a fait preuve de courage et de dévouement, à commencer par M. Catusse, préfet des Alpes-Maritimes, qui, venu à Monaco par hasard, s'est fait un devoir de porter secours aux blessés, accompagné par M. Chartran, directeur général des bains de mer.
Les victimes.
Quatre personnes ont été tuées; parmi elles se trouvent M. Domergues, mécanicien, et Ferrero, entrepreneur italien. Le chef de train Feraud a disparu ; il n'a été retrouvé qu'hier à deux heures, après de longs travaux de déblaiement; il était couché sur le côté et écrasé ; on croit qu'il a été tué sur le coup. Il y a trente-deux blessés, dont douze grièvement. Les salons de l'annexe de l'hôtel de Paris ont été transformés en ambulance provisoire. Les blessés y ont été transportés. Parmi eux se trouve la famille Prieur, de Paris, qui était allée en excursion dans la montagne. Elle avait pris le train à Roquebrune pour rentrer à Monte-Carlo. Tous sont grièvement blessés. La grand-mère, âgée de soixante-quatorze ans, le père, la mère et la fille. Mme Prieur a subi l'amputation des deux jambes. M. Verhotven a recueilli un enfant de quatre ans tombé dans la mer, et qui en sera quitte pour des contusions sans gravité. Au nombre des autres blessés ; Mme veuve Beek ; Mme et Mlle Tesseyre, femme et fille de l'ancien gérant de la Liberté, et le directeur de la taverne alsacienne de Monaco.
DERNIÈRE HEURE
On nous télégraphie de Nice que le théâtre a fait relâche pour cause de malheur public. Une foule énorme, paraît-il, se presse sur les lieux de l'accident. Il arrive des curieux par tous les trains. Courageux curieux! Des blessés, on n'a que des nouvelles insuffisantes.
Journal Le Radical du 13-3-1886 (Collection BNF-Gallica)
L’ACCIDENT DE MENTON.
LE DEBLAIEMENT.
Le travail de déblaiement est poussé avec une grande activité. Pour dégager la voie pluns rapidement, on jette à la mer une partie du matériel. Les pièces trop importantes sont arrachées des débris au moyen de deux locomotives munies de cordes très fortes.
LES VICTIMES
Voici le nom des victimes de cette terrible catastrophe : Morts. — M. Ferraro, entrepreneur à Vintimiile (laisse six enfants). — M. Domergue, mécanicien du train 502. — M. Féraud, conducteur-chef du train 502. — M. Laurent, chauffeur du train 502. Blessés. — M. Prieur, bijoutier à Paris, blessures grades aux jambes. — Mme Prieur; blessures graves aux jambes. — Mlle Prieur, blessures graves aux jambes. — Mme Tosseyn, artiste à Monaco, fractures aux jambes. — Mlle Tosseyn, artiste à Monaco, fracture» aux jambes. — M. Prève, journalier à Menton, lésions internes. — M. Lucchini, rentier à Marseille, côtes luxées, lésions internes. — Mme Gallot, de Samt-Ghamond, blessures graves des jambes. — Mme Novaro, fracture du bras gauche. — M. Novaro père, propriétaire à Vintimiile, quatre-vingt-cinq ans, blessures à la tête. — M. Novaro fils, chapelier à Nice, blessures à la tête et aux reins. — M. Roche, gérant de la taverne alsacienne à Monaco, fractures du bras. — Mme Daguino, couturière à Monaco, contusions à la poitrine et aux reins. — Mlle Daguino, couturière à Monaco, contusions à la poitrine et aux reins. — Mme Henger, artiste à Monaco, contusions légères. — M. Ferrari, sommelier à Nice, contusions à la poitrine et au poignet. — M. Perinardo, négociant à Menton, contusions aux mains et au côtes. — M. Roux, étudiant en droit à Marseille, contusions au poignet et à la jambe. — Mlle Chappal, artiste à Paris, contusions à la tête et à l’abdomen. — Mme Domange, mère de Mme Prieur, blessure aux jambes. — Mme Landrin, tailleuse à Vidauban, contusions au visage. — M. Novaro, enfant, de vingt-deux mois, égratignures au bras. — Mme Poinsot, femme du peintre-décorateur à Monaco. — Louis Roche, employé, fractures graves. — Mlle Henner, rentière. — Mme veuve Beck, rentière. — La famille Hu, blessures légères. Ce n’est qu’après une heure de travail acharné qu’on a fini par découvrir le corps de Féraud, le conducteur-chef du train 502. Pendant;, deux heures, on avait entendu ce malheureux pousser des cris affreux ; mais peu à peu les appels avaient diminué et, à dix heures du soir, lorsqu’on le retira des décombres, il avait cessé de vivre. Le cadavre se trouvait sur la plate forme du fourgon, entre les deux roues du tender ; il avait la tête appuyée sur le bras droit et avait une large blessure au front. Cet infortuné était marié et père d'un enfant.
LES RESPONSABILITÉS.
Quant aux responsabilités, il est encore assez difficile de les établir. M. Paoli, commissaire spécial, a commencé l’enquête, qui est poursuivie également par MM. Berthulus, juge d’instruction à Nice, et Mercier, juge d’instruction à Monaco. Le nommé Didelot, facteur-chef de la gare de Cabbé-Roquebrune, a été mis en état d’arrestation. Cet employé avait cru, parait-il, que le train 483, venant de Nice et qui suit le 479, était déjà passé; c’est alors qu’il donna le signal du départ au train 502. Cet employé est estimé de ses chefs. Le chef de gare de Monte-Carlo est gardé à la disposition des autorités. Quant à ce lui de Roquebrune, il a disparu; le bruit court qu’il se serait suicidé.
RÉCIT D’UN TÉMOIN
Une personne, qui se trouvait à la gare de Monte-Carlo au moment où l’accident s’est produit pour ainsi dire sous ses yeux fait des quelques secondes qui ont précédé la catastrophe un tableau vraiment saisissant, que nous croyons devoir reproduire; La catastrophe qui vient d’avoir lieu à la frontière monégasque a un caractère dramatique particulier. D’abord elle s’est accomplie sous les yeux de cinq ou six-cents personnes impuissantes à la prévenir, et c’est là un des points les plus passionnels, si je puis s’exprimer ainsi, de l’évènement. A cinq heures précises, le train 483 était en gare de Monte-Carlo avec un retard de neuf minutes. Des centaines de voyageurs en descendaient D’autres personnes en nombre plus considérable encore se préparaient a partir pour Nice par le train qu’on attendait de Menton. Il régnait sur les quais une animation extraordinaire. En ce moment je vis le chef de gare, à qui plusieurs personnes demandaient des renseignements. Il paraissait harcelé. Entrez dans mon bureau, dit-il à deux personnes, je vous entendrai tout à l’heure. Puis il courut s’occuper des bagages à ce qu’il m’a semblé. Tout à coup, le train se met en marche. Je vois encore le chef de train sautant au vol du fourgon des bagages. Le chef de gare eut en ce moment l’instinct du malheur qui allait arriver. Un homme d’équipe marchait devant lui : — Qui à signalé le train 483? demanda-t-il d’une voix changée par l’émotion. — Ce n’est pas. moi, répondit l’homme d’équipe. — Est-ce vous, alors? dit-il à un second employé. Non, monsieur. A cette réponse, le malheureux se prit la tête à deux mains et blêmit jusqu’à la lividité. Il ne fallut pas plus d’une seconde pour que la foule se rendît compte du danger que courait le train. Du reste la côte entre le cap Saint-Martin et Monte-Carlo; décrit une courbe telle que la voie entière était sous les yeux des spectateurs. On voyait, alors trois trains avec leurs colonnes de blanche famée. L’un, qui allait passer dans le tunnel Saint-Martin et qui ne courait aucun danger ; le second venait de quitter Cabbè-Roquebrune et s’avançait A toute vapeur contre celui qui s’éloignait de nous; On ne peut se faire une idée de l’anxiété qui serra la poitrine des quatre oui cinq cents spectateurs de cette scène. D’abord, chacun espéra que la collision n’aurait pas lieu. La côte est à découvert. — Ils se verront à temps disait-on de tous côtés. Le chef de gare ordonnait de sonner des cloches, de faire tout le bruit possible. Un cri formidable, surhumain, s’échappa des quatre cents poitrines oppressées. Et les deux panaches de fumée continuaient à se rapprocher. Ils ne se voyaient pas. Tout le monde faisait des gestes désordonnés. Une telle impuissance eu présence d'un tel péril est faite certainement pour rendre fou. Enfin le train venant de Menton a vu le danger et renverse sa vapeur. Mais l’autre, à cause de la courbe, ne voit rien et va toujours. Ils sont à deux cents mètres l’un de l’autre, à cent mètres, à dix mètres. Un frémissement horrible secoue La foule. Les femmes détournent la tète, pour ne pas voir. Un cri aigu retentit : c’est une jeune fille qui a une crise de nerfs. Le choc a lieu. On voit se dresser les deux trains l’un contre l’autre et, chose horrible deux ou trois wagons franchissant le parapet se précipitent sur les rochers, au bord de la mer. Une fumée épaisse enveloppe le tout. Blanc de désespoir, le chef de gare ne sait plus ce qu’il fait. De toute part ça crie. Des médecins ! des médecins! Chacun s’élance de son côté. Vingt-cinq ou trente personnes prennent par la voie et arrivent sur le terrain de l’accident. Rien né peut dépeindre ce spectacle, il faut avoir vu cela pour s’en faire une idée. D’abord, des deux wagons tombés d’une hauteur de trente mètres sur les galets et les rochers, il ne reste pour ainsi dire rien. Il semble qu’ils aient été réduits en poussière. Heureusement, ils ne contenaient que trois personnes. L'une d’elles a été tuée sur le coup. Par un miracle, les deux autres, ne sont que blessée», très grièvement à la vérité, mais on ne désespère pas de les Sauver. Les deux locomotives” s’étalent pour ainsi dire enfoncées l’une dans l’autre. Derrière et au-dessus d’elles, quatre voitures du train de Menton étaient empilées, broyées effroyablement. Un jeune homme, en courant de graves dangers, parvient à fermer les robinets, qui répandaient une vapeur aveuglante, et dès ce moment, sur la voie même, on se heurte aux blessés. Sous mes yeux, on en a retiré dix-sept plus où moins grièvement atteints. Presque sous mes pieds, j’aperçois un bras sur lequel mon voisin manque de marcher. On essaye de dégager la malheureuse à qui il appartient. Mais l’inextricable enchevêtrement de barres de fer, de poutres, de bois, de portières, de toitures, d'essieux, de vitres brisées, rend le sauvetage presque impossible.
DERNIÈRE DÉPÊCHE
Monte-Carlo, 12 mars. MM. Laurent Ferdinand, chauffeur, Novaro Jacques et Mme Prieur ont succombé aux suites des blessures qu’ils ont reçues, dans l’accident d’avant-hier, ce qui porte à sept le nombre des morts.
Journal L'intransigeant du 14-3-1886 (Collection BNF-Gallica)
Monte-Carlo, 13 mars.
La circulation entre Monte-Carlo et Menton a été rétablie hier. Les wagons précipités sur la grève, brisés en mille morceaux, ont été abandonnés. Les autres sont garés hors de la voie. La locomotive et les tenders ont été ramenés à Monte-Carlo. Les obsèques de mécanicien Domergue ont eu lieu hier soir à Nice, où le corps avait été transporté dans la matinée. Un millier de personnes assistaient aux funérailles, qui ont été célébrées en l'église Notre-Dame. Le deuil était conduit par le fils du défunt, accompagné du proviseur du lycée. Au cimetière, quelques paroles ont été prononcées. Ce matin ont eu lieu les obsèques de 2 autres victimes. Le nombre exact de victimes est de 27. Contrairement à la nouvelle donnée dans la dépêche d'hier, Mme Prieur n'a pas succombé aux suites de ses blessures, elle n'a subi aucune amputation et on conserve quelque espoir de la sauver.
Journal L'intransigeant du 15-3-1886 (Collection BNF-Gallica)
LA CATASTROPHE DE MONTE-CARLO.
Aux noms des blessés que nous avons cités, il convient d’ajouter ceux de MM. Reis, professeur au collège de Menton, Palmaron de Menton et Morisseau, de Monaco. Ces trois personnes ne sont pas trop grièvement atteintes. Le nombre des blessés s’élève donc maintenant à 43... L’enquête sur les responsabilités est sur le point d’être terminée. M. Chapuis, chef de gare de Monte-Carlo, a été arrêté. Il va être transféré à l’hôpital, car sa santé est ébranlée par toutes les émotions qu’il a subies, depuis quelques, jours. Chapuis était un employé très estimé et très intelligent. Il est marié et père do famille. L’enquête lui reproche d’avoir confondu deux sonneries et d’avoir laissé passer le train alors que la voie n'était pas libre. Le conducteur-chef du train 483 a été suspendu de ses fonctions. Les pertes matérielles, de la Compagnie se montent à un total d’au moins 350,000 fr.. Ces pertes consistent en deux locomotives, quatorze voitures et trois fourgons. Mais ce n'est pas la Compagnie que nous plaindrons en cette circonstance. Il nous paraît même regrettable, qu’elle en soit quitte à ce prix.
Journal L'intransigeant du 20-3-1886 (Collection BNF-Gallica)
20 mars. MM. Oppermann, ingénieur-inspecteur des contrôles de l’État, et Villot, ingénieur de la traction, ont quitté Marseille vendredi soir, serendant à Paris, où ils ont été appelés d’urgence par le ministre des travaux publics. Ils vont être entendus à propos de la catastrophe de Monte-Carlo, sur laquelle ils ont fait une première enquête.
Journal L'intransigeant du 22-3-1886 (Collection BNF-Gallica)
Nice, 22 mars.
Mme Prieur, de Paris, qui a eu les jambes bisées à la suite catastrophe de Monte-Carlo, succombé jeudi matin après une longue agonie.
Journal L'intransigeant du 24-3-1886 (Collection BNF-Gallica)
Nice, 23 mars.
Je vous ai annoncé hier, d’après le Phare du Littoral, que Mme Prieur, victime de l’accident de Monte-Carlo, avait succombé jeudi à ses blessures. Je suis heureux d’apprendre que cette nouvelle est inexacte. Mme Prieur, qui a eu les deux jambes atteintes dans la catastrophe, n’a point été amputée ; elle est soignée par le docteur Blum, qui n’a pas jugé que cette opération fût nécessaire.
Journal L'intransigeant du 25-3-1886 (Collection BNF-Gallica)
La polémique dans la presse.
Surprenante par son ampleur et son bilan, la catastrophe tourne rapidement en une affaire polémique et politique. La Compagnie du P.-L.-M. ne semble pas pour certains, avoir fait le nécessaire pour assurer la sécurité de ses passagers et de son personnel. La presse de gauche et certains députés s'emparent de "l"affaire".
LES COUPABLES ET LES PUNIS...
Ce qui se passe dans,les mines se passe dans-les chemins de fer: C’est toujours aux gueux la besace. A la suite de l’affreuse catastrophe de Monte-Carlo, vous vous imaginez peut-être que le remords est entré dans l’âme des directeurs de la Compagnie P.-L.-M.? Vous croyez sans doute qu’ils ont compris que leur cupidité venait de causer la mort ou la mutilation d’une trentaine de personnes et qu’ils ont, en conséquence, résolu de remplacer par une double voie la voie unique sur la quelle une rencontre, étant donné le nombre de trains mis en circulation tous les jours de Nice à Monaco, devait inévitablement se produire? Débarrassez vous promptement de cette illusion. A peine la nouvelle du sinistre a-t-elle été connue, que la Compagnie s’est empressée de faire déclarer que les coupables ne pouvaient être que le chef de gare de Roquebrune et celui de Monte-Carlo; peut-être tous les deux, mais, à coup sûr, l’un ou l’autre. Il n’y a qu’une voie, il y passe quotidiennement soixante, convois et quand un des chefs de gare se trompe ; quand il a sommeil, ce qui peut arriver à tout le monde, quand sa tête est lourde et que sa mémoire lui fait un instant défaut, c’est lui le criminel, le responsable, le meurtrier par imprudence. Et soyez sûrs qu’un de ces malheureux sera traîné en cour d’assises, et qu’au besoin l’ingénieur coupable d’avoir négligé d’attacher un frein aux wagons viendra déposer, du haut de ses quarante mille francs d’appointements, contre ce pauvre employé à douze cents francs, qui sera envoyé pour deux ou trois ans dans quelque maison centrale, sans avoir seulement le droit de s’écrier : « Mais le véritable auteur de l’accident, ce n’est pas moi : ce sont les êtres voraces qui, de peur de rogner leurs bénéfices, entassent des milliers de voyageurs sur une seule ligne, quand la plus enfantine prudence les obligerait à en avoir deux ! ». Tant qu’un bon directeur, portant un nom bien sonore, n’aura pas, à la suite d’un malheur comme celui d’avant-hier, expié par quelques années de réclusion sa rage de faire dès économies aux dépens du public, nous serons exposés aux événements dont la Compagnie P.-L.-M. semble avoir depuis quelque temps soumissionné le monopole. Je vous demande en quoi les administrateurs du P.-L.-M. peuvent s’inquiéter de voir le chef de gare de Roquebrune aller en prison? Ils lui donnaient douze cents francs; ils le remplaceront par un autre à qui ils n’en donneront plus que mille; et l’écrabouillement de trente voyageurs aura ainsi rapporté deux cents francs aux actionnaires. Ah ! si l’on flanquait pour un temps sérieux le président du conseil d’administration à Clairvaux ou à Poissy, à la suite d’une de ces capilotades de touristes, vous apprendriez dès le lendemain que les freins les plus ingénieux viennent d’être adaptés aux wagons et que la seconde voie en projet depuis cinq ans va être exécutée en moins de six mois. Malheureusement, jamais l’aurore de cette justice n’ouvrira les portes dé notre Orient. L’État a signé avec les grandes Compagnies des conventions qui leur permettent non seulement d’élever démesurément leurs tarifs , mais encore d’exterminer leurs clients. Il faut mourir, frères et il faut mourir sans nous plaindre car la plus petite réclamation de notre part affligerait profondément M. Raynal, M. Rouvier, M. Ferry, enfin tous les hommes que le spectacle de leurs vertus nous a appris à respecter. On nous assure, au dernier moment, que l’infortuné chef de gare de Roquebrune (1,200 francs d’appointements pour quinze heures de travail) s’est suicidé de désespoir. Nous plaignons profondément cette victime des monopoles, cependant, nous ne pouvons, en même temps, nous empêcher de la blâmer. Ceux qui auraient dû se faire ainsi justice, ce sont le président du conseil d’administration et ses collègues. Mais ils n’ont aucune envie de se punir eux-mêmes des fautes qu’ils commettent, et qu’ils préfèrent de beaucoup faire expier aux autres. Perdre la vie pour si peu ! Allons donc ! Ils n’en perdront même pas un jeton de présence. - HENRI ROCHEFORT .
Journal L'intransigeant du 14-3-1886 (Collection BNF-Gallica)
Conspiration du silence.
La catastrophe a eu lieu, vers cinq heures du soir, comme nous l'avons dit plus haut, presque sous la terrasse de Monte-Carlo. A quelles manœuvres s'est livrée la Compagnie pour empêcher que l'on en eût connaissance, c'est ce que nous ignorons. Il importe seulement de constater que le hasard seul a permis à deux ou trois de nos confrères parisiens d'être informés de l'accident par dépêches, et les télégrammes qu'ils ont reçus sont datés de dix heures du soir, cinq heures après l'accident que toute la colonie a dû connaître en moins d'une heure.
L'Agence Havas
Quand à l'agence Havas que tous les journaux payent très cher pour être très mal informés, elle n'a pas dit un mot de l'accident. C'est seulement hier matin qu'elle l'a fait connaître en quelques mots dans sa feuille de onze heures, parce qu'elle ne pouvait plus le dissimuler. On se demande non sans raison si l'agence Havas est mal informée ou si, volontairement, elle à, de connivence avec la compagnie P.-L.-M., cherché a étouffer l'affaire, comme si de pareilles affaires s'étouffaient. Du reste, l'agence Havas a fait mieux encore. Après avoir convenu, dans sa dépêche distribuée à onze heures du matin, qu'il y avait trente-deux blessés dont douze grièvement, elle s'est fait envoyer dans la soirée, sans doute après délibération avec les administrateurs, du P.-L.-M., ce télégramme qui sent à mille kilomètres les arguments irrésistibles qui influencent tant Basile dans le Mariage de Figaro.
Monte-Carlo, 11 mars.
Le nombre des personnes sérieusement blessées dans la collision d'hier est de sept. La plupart des blessés sont des voyageurs de troisième classe. Tout va donc très bien ; il n'y a que sept blessés. Et encore, et encore, ce sont simplement des voyageurs de troisième classe, des gens de rien, quoi! Et l'agence Havas triomphe avec ses compères du P. L. M..
L'attitude de la Compagnie
L'attitude de la Compagnie est encore plus étonnante que celle de l'agence Havas. La Compagnie ne sait, rien, ne veut rien savoir. Quand tous les journaux donnent des détails, elle ignore tout, ou du moins elle n'a qu'une très vague idée de l'événement. Voici, du reste, la note insouciante et en pareil cas l'insouciance est du cynisme qu'elle a fait communiquer, vers trois heures, aux journaux par l'agence Havas : La Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée nous fait savoir qu'une collision de deux trains s'est produite, hier 10 mars, vers cinq heures du soir, entre les stations de Monte-Carlo et de Cabbé-Roquebrune, en voie unique. Un voyageur et l'un des mécaniciens ont été tués; un conducteur n'a pas été retrouvé. Une vingtaine de voyageurs ont été blessés plus ou moins gravement. Les secours ont été promptement organisés. Mais la Compagnie n'a pas encore d'autres détails. Elle s'empressera de publier ceux qui ne peuvent manquer de lui arriver à bref délai. Son directeur est sur le lieu de l'accident. C'est calme et digne comme une modification à l'indicateur, et cela semble dire simplement: « Parents des victimes, rassurez-vous, le directeur est sur le lieu do l'accident ! » Si les circonstances n'étaient pas aussi lugubres, on rirait de ce conducteur qui n'a pas été retrouvé et que la Compagnie paraît croire à Monte-Carlo en train de profiter d'heureux loisirs pour mettre en application une martingale depuis longtemps méditée. Malheureux Féraud, il est retrouvé maintenant!
Les responsabilités
A qui incombent les responsabilités de cette catastrophe? Selon l'agence Havas (version de dix heures du soir) le signal a été donné par la gare de Roquebrune ; le train de Monte-Carlo est parti ensuite. Donc, le chef de gare de Monte-Carlo est dans son tort. D'après, une dépêche reçue par le Temps, « la rencontre des trains est due: à un faux signal donné par le chef de « gare de Roquebrune; celui-ci ignorant sans doute que le train venant de Nice avait été dédoublé, avait laissé passer le train parlant pour Nice.On ergotera probablement longtemps encore, afin de savoir quel est le chef de gare qu'il faut châtier et c'est probablement aussi l'un de ces malheureux agents subalternes que les tribunaux condamneront, peut-être les deux.
A notre avis, les responsabilités doivent remonter plus haut. Elles doivent remonter :
1° Aux ingénieurs de l’État qui ont autorisé, sur une ligne à voie unique, un transport de voyageurs et une circulation de trains tellement serrés qu'une catastrophe était dès longtemps inévitable.
2° A la Compagnie qui, malgré les gains énormes qu'elle réalise sur ce tronçon de ligne, loin de dédoubler sa voie, dédouble ses trains (version du Temps), et jette la confusion dans l'esprit des chefs de gare, responsables de la sécurité publique.
La culpabilité de la Compagnie.
Nous regrettons de voir un journal républicain du soir prendre la défense de P.-L.-M., dont la culpabilité est sans excuse. Car la faute de l'administration est peut-être plus grande encore qu'on ne le peut croire. Depuis plusieurs années, toutes les Compagnies de chemins de fer ont appliqué à leurs trains de voyageurs un frein d'invention américaine, dit frein à air comprimé. Avec ce frein, on arrête un train presque spontanément. en cinquante mètres de parcours environ. Serait-il vrai que ce frein n'est utilisé, de Paris à Vintimille, que pour les trains express ? Serait-il vrai que la Compagnie, obligée à de nombreux départs entre Nice et Vintimille, et voulant, malgré l'encombrement, continuer ses transports de marchandises, accouple à ses wagons de voyageurs des wagons de marchandises non pourvus du frein à air comprimé ? Serait-il vrai que les a eux mécaniciens auraient pu empêcher l'accident, avant-hier, s'ils avaient eu un frein à air comprimé à leur disposition ? Tels sont les questions que nous posons, non à la Compagnie, mais au ministre des travaux publics, chargé de diriger l'enquête.
Journal Le Radical du 13-3-1886 (Collection BNF-Gallica)
Au palais Bourbon. L'interpellation Delattre. M. Delattre, député de la Seine, a prévenu le ministre des travaux publics qu'il avait l'intention de l'interpeler sur l'épouvantable catastrophe de Roquebrune et de Monte-Carlo et sur les mesures qui ont été prises pour éviter le retour de semblables accidents. On pense que la discussion de cette intéressante interpellation aura lieu jeudi prochain.
Journal L'intransigeant du 15-3-1886 (Collection BNF-Gallica)
LA CATASTROPHE DE MONTE-CARLO. La terrible catastrophe de Monte-Carlo qui vient de faire de si nombreuses victimes est bien comme nous l’avons dit dès le premier jour, imputable à l’incurie et à la mauvaise administration de la Compagnie P.-L.-M.. C’est pour économiser quelques milliers de francs que les administrateurs de cette Compagnie mettent chaque jour en péril de mort des milliers de voyageurs. La dépêche suivante démontre ce fait d’une façon incontestable : Des deux trains qui se sont rencontrés entre Monte-Carlo et Roquebrune, un seul, le train 483, qui venait de Nice, était pourvu d’un frein à air comprimé. Le train 502, qui venait de Vintimille, n’avait que le vieux frein dès longtemps mis au rebut. Aussi, le train 483 a-t-il pu, grâce à son frein, s’arrêter à temps et son conducteur, M. Trastour, ainsi que son mécanicien, M. Ollaguier, après avoir renversé la vapeur, n’ont eu aucune peine à sauter sur le talus, sans accident. Le train 502, dans l’impossibilité de s’arrêter, s’est jeté sur le tram 483 et a seul ainsi causé la catastrophe. Si le train 502 avait été muni d’un frein à air comprimé, si son mécanicien avait pu s'en servir an même temps que le train 483, la rencontre n’aurait pas eu lieu. La fatale distraction du chef de gare n’aurait donc eu aucune conséquence grave si la Compagnie avait pris les mesures nécessaires.
Journal L'intransigeant du 16-3-1886 (Collection BNF-Gallica)
Nous recevons la lettre suivante.
Monsieur le Rédacteur en chef. Permettez à un de vos lecteurs une simple observation à propos de.la terrible catastrophe de Monte-Carlo. N’est-ce pas avec raison qu’au début des chemins de fer, la circulation sur voie unique a été l’objet d’un grand effroi, puisque l’expérience prouve que malgré tous les signaux optiques, acoustiques, de jour, de nuit et de brume, et les progrès incessants de la télégraphie électrique, cette circulation n’est pas encore très sûre. Les accidents comme celui de Monte-Carlo seraient certainement moins fréquents, si on adoptait, en France, sur toutes les voies uniques, non pas exceptionnellement comme on le fait, mais systématiquement, le pilotage, tel qu’il se pratique dans d'autres pays, d’une manière constante, réglementairement. C’est ainsi qu’en Angleterre on a basé la circulation sur voie unique sur le système de pilotage. Sur tous les points de la voie où deux trains doivent passer en sens inverse et à des instants rapprochés, les Anglais ont placé un pilote qui monte sur la locomotive de l’un des trains croiseurs et un garde, a ordre de ne laisser engager plus avant dans la voie le train qui arrive en sens inverse que lorsque la locomotive du deuxième train croiseur sera montée par le même pilote descendu du premier, train à un point de croisement où il doit attendre le train arrivant en sens opposé. Le service du pilote consiste donc à faire la navette entre deux gares de croisement, en montant alternativement sur les locomotives de trains allant en sens opposés. Agréez, etc. Un ingénieur.
Journal L'intransigeant du 19-3-1886 (Collection BNF-Gallica)
Le Parlement Par 369 voix contre 153, la Chambre a voté, hier, un ordre du jour pur et simple, à la suite de l’interpellation de M. Delattre sur le malheureux accident de Monte-Carlo.
La Chambre
Toute la séance a été consacrée à l’interpellation déposée par notre ami Delattre, à propos de la persistance de la Compagnie P.-L.-M. à massacrer périodiquement les personnes assez imprudentes pour voyager sur cette ligne. La catastrophe récente de Monte-Carlo, dit avec raison l’auteur de l’interpellation, a causé plus d’émotion que de surprise, tant le public est habitué à voir les accidents se produire sur le réseau de Paris-Lyon-Méditerranée. Cartant les questions de culpabilité personnelle, qu’il appartient à la justice seule de rechercher, l’orateur dit qu’il y a la responsabilité civile telle qu’elle découle des lois et règlements de chemins de fer. Dans cette question l’État et, par conséquent, le Parlement, est intéressé, ne serait-ce que par le fait de la garantie d’intérêt. Il y a eu dans une partie de la presse, une véritable conspiration du silence. L’agence Havas n’a parlé de l’accident que le lendemain et quand il n’y avait plus moyen de le dissimuler. Cette même agence a réduit à sept le nombre des blessés, en ajoutant que c’étaient des "voyageurs de troisième classe". Voilà pour la publicité donnée à l’affaire. Quant à l’œuvre de réparation, ce sera bien autre chose. L’accident s’étant produit sur le territoire de Monaco, ce sera la justice monégasque qui sera saisie de l’affaire. Or, le tribunal suprême de Monaco est composé de deux avocats et d’un avoué de Paris, dont l’un au moins est l’avocat de la Compagnie P.-L.-M.. La cause première de la catastrophe, c’est l’insuffisance du personnel des gares réduit de 60 à 80 0/0 et surmené de travail. Les mécaniciens et les chauffeurs, ne sont pas moins accablés que le personnel de la surveillance. En outre, on sait que, par économie, la Compagnie s’est refusée jusqu’ici à faire établir une double voie. On peut donc dire que chaque accident est un meurtre prémédité. Par économie également, la Compagnie P.-L.-M. n’a pas fait poser les appareils de signaux automatiques, en usage, depuis longtemps sur la plupart des grandes lignes. Elle n’a pas davantage substitué à tout son matériel roulant les nouveaux freins aux anciens. Elle est, par conséquent, responsable du malheur qui est survenu et doit être tenue pour telle, sinon ce serait l’État qui paierait le dommage avec la garantie d’intérêt. M. Baïhaut, ministre des travaux-publics, plaide les circonstances atténuantes pour la Compagnie P.-L.-M., mais est obligé de reconnaître que l’un des deux, trains n’était pas muni de freins à arrêt instantané, Cela n’empêche pas M. Baïhaut de déclarer que le mécanicien, avait, perdu la tête et de lui attribuer la responsabilité de l’accident. Or, il résulte de la réplique de M. Delattre que le mécanicien, bien loin d’avoir manqué de sang-froid s’est montré un héros. Il n’ai pas perdu la tête comme le prétend M. Baïhaut, pour disculper ses amis les administrateurs du P.-L.-M., mais il a perdu la vie, en faisant son devoir. En,somme, le ministre demande que l’on termine l’incident par l’ordre du jour pur et simple qui dégage la responsabilité de la Compagnie et qui créera un précédent en faisant payer les dommages par l’État. L’auteur de l'interpellation repousse cette solution et dépose un ordre du jour motivé tendant, au contraire,- à dégager la responsabilité de PEtaL Le ministre remonte à la tribune et, tout en déclarant qu’il défendra (?) toujours (??) les droits de l’État (???) centre les Compagnies (????). il insiste pour l’ordre, du jour pur et, simple. — Il s’agit de savoir, dit M. Madier de Montjau, qui paiera le prix du sang? C’est grâce aux abominables conventions, œuvre de Jules Ferry et de Raynal que cette question peut se poser. Les Compagnies de chemins de fer, non contentes d’être usurières, auraient-elles encore le droit d'être meurtrières impunément? se demande l’orateur. La Compagnie, pour prendre ses précautions, attend, qu’on l’y contraigne. Les richards qui reculent devant la dépense nécessaire pour sauvegarder la vie des voyageurs sont des meurtriers volontaires. Et qui paiera? Les tribunaux en décideront. Mais on peut craindre que les Compagnies en soient quittes pour rejeter la faute sur de pauvres diables, exténués de travail. C’est à la Chambre qu’il appartient d’arrêter, s’il est possible, la ploutocratie des chemins de fer. Un membre de la Droite, M. de la Bâtie, vient au secours du ministre et de la Cie P.-L.-M. en priant la Chambre de voter l’ordre du jour pur et simple, qui est adopté par 359 voix contre 153. Allons! la « Compagnie Préparez-Les Matelas» n’a pas encore massacré assez de voyageurs, paraît-il, pour que l'on mette un frein a son commerce de têtes, de jambes et de bras cassés. On ne s’y décidera que le lendemain du jour où elle aura fait une purée de ministres et de hauts fonctionnaires en écrabouillant quelque train officiel. Dans l’intérêt de l’humanité, souhaitons que ce malheur arrive le plus tôt possible.
Ernest Vauquella
Journal L'intransigeant du 31-3-1886 (Collection BNF-Gallica)
Les suites judiciaires.
M. Chapuis, ex-chef de gare à Monte-Carlo, condamné à deux mois de prisons par le tribunal supérieur de cette ville, a été remis en liberté, sur l'ordre de Charles III, prince de Monaco. On se souvient que M Chapuis avait été condamné à la suite de la catastrophe de Monte-Carlo. Le prince de Monaco a reconnu que la responsabilité devait remonter à la Compagnie P.-L.-M. et il a fait à M. Chapuis remise complète de sa peine. Si les princes s'en mèlent...
Journal Le Radical du 1-7-1886 (Collection BNF-Gallica)