27 août 1887, affaire des fusils de Besançon

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Lorsque le général Boulanger accède aux fonctions de ministre de la Guerre, le 7 janvier 1886, il exige que le prototype d'un nouveau fusil à répétition et de petit calibre lui soit présenté. Ainsi sera rapidement développé le fusil dit "Lebel". En août 1887, la compagnie du P.-L.-M., se trouve, bien malgré elle, au centre d'un étrange affaire où se mêlent espionnage et politique...

Circonstances de l’incident

  • L'Affaire de Besançon.

Le ministre de la guerre adressé la communication suivante aux journaux sur l’incident-qué nous avons fait connaître hier, d’après le Paris. Deux wagons, contenant des fusils modèle 1886, ont été expédiés de la manufacture d’armes de Saint-Étienne à la direction: de Besançon. Conformément aux instructions ministérielles, ces wagons étaient plombés. A l’arrivée à Besançon, il a été constaté que l’un dès wagons avait été déplombé en cours de route et que le plomb de l’État avait été remplacé par le plomb de la Compagnie P.-L.-M. sur lequel on avait gratté le nom de la gare. La direction de l'artillerie de Besançon a refusé, en conséquence, d’en prendre livraison. Le wagon doit être ouvert aujourd’hui et la vérification du contenu des caisses aura lieu eu présence des agents de la Compagnle. Une enquête est ouverte.

Journal L'Intransigeant 29-8-1887 (Collection BNF Gallica).


  • L’AFFAIRE DES FUSILS LEBEL

L’agence Havas nous communique lanote suivante : D’après les renseignements officiels, qui ont été adressés au ministère de la guerre, le wagon de fusils modèle 1886 dont les plombs avaient été altérés, a été vérifié. On a constaté qu’il était au complet. Aucune arme ne manquait et il n’y avait aucune trace d’ouverture des caisses. Ce résultat de l’enquête était prévu. Mais nous croyons pouvoir affirmer à M. le général Ferron que cette explication ne suffira pas à rassurer l’opinion publique. Il est, en effet, difficile d'admettre que l’on aurait rompu les scellés de L’État, qu’on les ait remplacés par ceux de la Compagnie P.-L.-M. en avant bien soin de gratter le nom de la gare, tout cela dans l’unique but de faire-une mauvaise plaisanterie. M. Ferron. peut se déclarer satisfait des constatations superficielles de ses complaisants agents, mais nous somme persuadés que le pays ne s’en contentera pas et qu’il trouvera dans cet incident une nouvelle preuve de l’incroyable incurie de l’administration de la guerre.


Journal L'Intransigeant 30-8-1887 (Collection BNF Gallica).


  • FUSIL VOLE

L'Agence libre nous communique cette note, qui est de nature à troubler bien des sommeils : Notre correspondant de Prague nous mande la nouvelle suivante, dont la source mérite toute créance et qui nous parait mériter d’attirer l’attention du gouvernement. Entre le 15 et le 20 du présent mois, c’est- à-dire dans lés premiers jours de la présente semaine, ont eu lieu à Breslau des expériences du fusil Lebel, dont l’état-major allemand se serait procuré un modèle. Le fait des expériences, nous écrit notre correspondant, est absolument incontestable. On croit que le fusil en question provient des wagons qui ont été ouverts dans le trajet entre Saint-Étienne et Besançon mais on suppose que l’état-major allemand n’a point encore eu connaissance de la poudre exigée par le fusil Lebel. Quand le journal Paris eut raconté que des wagons chargés d’un certain nombre de spécimens de notre nouveau fusil avaient été forcés et ouverts, le ministère fit répondre par l’agence Havas qu’il n’en était rien, qu’une enquête avait été ordonnée et que les enquêteurs avaient trouvé intacts les cachets et les scellés des wagons. Cette affirmation ministérielle valait celles dont l’étonnant Ferron nous accable à propos d’Aubanel, qui lui donnait hier un démenti, en jurant ses grands dieux qu’il n’avait jamais mis les pieds au ministère de là guerre. Ainsi, cette arme, dont le général Boulanger avait entouré de tant de. mystère la fabrication, son successeur n'aura pas même su la défendre contre la curiosité teutonne. Les Allemands, dont la faiblesse gouvernementale enhardit de plus en plus l’indélicatesse, n’ont pas hésité à faire sauter les serrures de nos wagons pour arriver à se procurer le secret d’une invention qui les préoccupe au-delà de tout. Comment ce vol avec effraction a-t-il pu s’accomplir ? La question se pose avec toutes ses conséquences! Y a-t-il eu, de là part des Compagnies de chemins de fer, incurie ou complicité? La plupart d’entre elles fourmillent d’administrateurs prussiens et bavarois, qui n’ont montré tant d’obstination à conclure les conventions dont Baynal est le rédacteur, qu’afin de mettre, en cas de guerre, la main sur tout le matériel destiné à transporter nos troupes à la frontière. Quand donc on qualifiait les conventions de « scélérates », elles l’étaient encore plus qu’on ne le supposait. Ferron nous trompait audacieuse ment quand il prétendait qu’Aubanel avait soustrait le plan de mobilisation dans les bureaux du ministère, de la guerre, où celui-ci n’a pénétré de sa vie. Il s’agit de savoir si le même Ferron nous trompait encore quand il déclarait que les wagons chargés de fusils Lebel étaient arrivés intacts à destination. Pendant le ministère Boulangers dé nombreuses tentatives avaient été faites par les agents de Bismarck pour se procurer cette arme précieuse. Le général les avait toutes déjouées. Nous pourrions citer un garde-magasin attaché à la surveillance d’une poudrière où la poudre spéciale au nouveau fusil est déposées et auquel un espion allemand a offert cinq mille francs, en échange d’un demi-kilo de cet explosif. Le brave homme avertit ses chefs et les précautions redoublèrent. Aujourd’hui, quand l’ennemi parvient sans effort à ouvrir des Voitures dont les portes sont cachetées avec le sceau de l’État, il n’y a aucun doute qu’il lui soit on ne peut plus facile de se faire remettre un paquet de la poudre sans laquelle le fusil Lebel perdrait beaucoup de son efficacité. Il est en effet, infiniment plus aisé de fourrer dans sa poche un paquet gros comme le poing que d’emporter une carabine après, avoir défoncé la porte de la pièce où elle est renfermée. La complaisance de ceux qui s’apprêteraient à cette trahison serait incontestablement moins périlleuse pour eux. Il est vrai qu’elle le serait peut-être davantage pour nous. Mais Ferron, qui est parfaitement au courant de l’attentat de Besançon, continuera à nier demain comme il niait hier. Il consentira vraisemblablement à annoncer qu’il va faire, "procéder à une nouvelle enquête" qui aboutira comme celle qu’il a feint d’ordonner dans l’affaire Aubanel et un beau matin, nous serons agréablement surpris d’apprendre par la Gazette de Cologne ou, la Post de Berlin, que les arsenaux allemands contiennent un million de fusils Lebel munis de leurs cartouches. HENRI ROCHEFORT

Journal L'Intransigeant 26-9-1887 (Collection BNF Gallica).


Photos et cartes postales

Croquis et plans