13 juillet 1889, tamponnement, gare de Moirans
Circonstances de l’accident
Un terrible accident s’est produit samedi soir, vers neuf heures, en gare de Moirans. Le train de voyageurs 339, allant de Valence à Grenoble, à été tamponné par le train de marchandises 2147, venant de Lyon. Cinq voyageurs ont été tués : Violet, quarante ans, courtier en peaux à Grenoble, Dunoyer, forgeron à Miramas Juven, corroyeur à Romans ; Despit, propriétaire à Alixan(Drôme); Perrin, cultivateur à Moirans, cinquante-cinq ans. Voici, du reste, dans quelles circonstances s’est accomplie la catastrophe, en dépit des efforts désespérés du mécanicien du 2147 pour arrêter son train. Le chef de gare de Moirans ayant constaté le retard du train de voyageurs, avait fait exécuter les signaux nécessaires pour arrêter le train de marchandises qui venait de quitter Noiron ; malheureusement la machine du train de marchandises était des plus légères et elle avait été chauffée à toute vapeur. En vain le mécanicien, Joseph Brosse, fit-il serrer les freins, renversa-t-il la vapeur et ouvrit-il le sablier, son train n’en continua pas moins à descendre avec une vitesse vertigineuse les rampes de Moirans; le sifflet d’alarme déchirait les airs sans arrêt, les roues du tender étaient enrayées et, malgré cela, Brosse, affolé, voyait son train qui filait toujours. Quand les employés de la gare aperçurent cette machine hurlante, l’un d’eux cria au mécanicien du train de voyageurs: «Sauvez-vous ! vous êtes perdu ! ». Il venait de démarrer, sans cela le malheur eût été plus grand. Lorsque le tamponnement se produisit, la machine du train de marchandises fut broyée et sa cheminée rasée. Les quatre dernières voitures du train de Valence, composé de sept wagons, furent brisées et rejetées sur le quai et l’un des wagons vint s’engouffrer dans une large et profonde excavation ouverte pour y établir les fondations de la nouvelle gare de Moirans. De tous cotés s’élevaient des cris, des appels désespérés. Et comme pour ajouter a la sinistre horreur du spectacle, un orage épouvantable s’abattait au même moment sur Moirans. Au premier abord, on crut qu’il y avait que des blessés, mais, au bout d'une demi-heure, on aperçut deux voyageurs sous l'un des wagons qui avaient déraillé. ils avaient la poitrine écrasée et avaient été tués sur le coup. On continua les recherches tonte la nuit, et ce matin, à cinq heures, on découvrit encore trois cadavres sous le wagon qui avait été projeté dans la partie creusée pour les fondations. Ces infortunés ont été entraînés sous les wagons parce qu’ils ont sauté du train lorsque les employés de la gare ont crié : « Vous êtes perdus ! ». Le cultivateur Perrin venait déposer au parquet de Saint-Marcellin, sa fille ayant été assassinée il y a environ dix jours. 11 y a quinze blessés dont deux seulement assez grièvement : M. Chapuis, clerc d’avoué à Grenoble et la domestique de Mme Margot, femme d’un capitaine d’artillerie. Cette dernière et ses enfants ont été contusionnes. Les blessés ont reçu les premiers soins au café de la gare et, sauf deux, ont continué leur route sur Grenoble où, à l’arrivée, des soins leur ont été prodigués. Le mécanicien Brosse, au moment du choc, s’était cramponné sur le derrière de sa machine; son chauffeur s’était étendu sur le charbon; le mécanicien du train tamponné a pu sauter sur le quai son train venant à peine de démarrer, aussi ils n’ont eu aucun mal ; L’enquête faite par le service de l’exploitation fait remonter la responsabilité de l'accident à Brosse, dont le train se serait emballé au départ de Voiron; quoi qu’il en soit, sa courageuse conduite, atténue beaucoup les effets de cette responsabilité. Les obsèques des victimes ont eu lieu hier matin, à dix heures. Le préfet de l’Isère, le sous-préfet de Saint-Marcellin et plusieurs autres notabilités conduisaient le deuil.
Journal l'Intransigeant du 17-9-1889 (Collection BNF Gallica).