20 mars 1890, découverte macabre, gare de Paris-Bercy
Circonstances de l’incident
- Une affaire mystérieuse - Lugubre trouvaille, une tête coupée.
Hier matin, à onze heures, le sieur Aimable B......t, homme d’équipe à la gare de Charenton-Bercy, apercevait un colis laissé en souffrance, sans adresse. Il le prit et le jeta sur un tas d’ordures, dans la cour de la gare. Quelques instants après, Gustave B....u, employé à la méme gare, enlevait les ordures et, par curiosité, ouvrait le colis. Il découvrit une tête de femme, en putréfaction. Les cheveux très noirs adhéraient encore au crâne. La tête était enveloppée dans un jupon gris et blanc à bandes rouges, le tout recouvert d’une toile à sac grise des plus grossières. M. Goron s’est immédiatement rendu sur les lieùx pour commencer son enquête. La tête a été envoyée à la Morgue. Après un premier examen médical, il a été reconnu que cette tête devait être celle d’une personne de quarante à cinquante ans. Le paquet dans lequel cette tête était renfermée se trouvait dans les magasins de la Compagnie des chemins de fer de Lyon depuis sept mois environ. Il devait être vendu au profit du Domaine, mais au moment delà vente, il avait été remisé avec d’autres objets abandonnés, pour être jeté aux ordures, en raison des odeurs nauséabondes qui s’en échappaient. Il était classé parmi les provisions avariées et les objets détériorés. On suppose que le paquet contenant cette tête devait être enfermé dans une caisse que l’humidité aura fait moisir. En effet, dans un coin des magasins, on a retrouvé des morceaux dé bois paraissant, provenir d’une petite caisse. Sur ces morceaux de bois, on a relevé quelques taches de sang. Mais aucun morceau ne porte d’indication d’adresse, ou d’expédition. On poursuit activement l’enquête, pour connaître la provenance de ce colis. La section de la tête est très nette, et a certainement été faite par une personne habile et connaissant bien l'anatomie.
Journal L'Intransigeant 23-3-1890 (Collection BNF Gallica).
UNE TÊTE COUPÉE.
L'enquête à Paris et sur le réseau de la Compagnie de Paris-Lyon-Méditerranée.
L’enquête de cette mystérieuse affaire se poursuit activement. C’est M. Atthalin qui a été chargé de l’instruction. M. Bouchat, l'homme d’équipe de gare de Bercy-Charenton, se rappelle parfaitement que dans les premiers jours du mois, quand on procéda à l'inventaire des marchandises remises au domaine, un sac de toile de couleur, jaunâtre, fermé par une ficelle entortillée autour, fut éventré. Mais à l’ouverture de ce sac, il se répandit une odeur si nauséabonde qu’on le jeta immédiatement parmi les détritus, sans regarder ce qu’il contenait. Le crâne est dépouillé de chairs : il y adhère encore deux nattes de cheveux, retenues par une masse de chairs décomposées; M. Atthalin a visité le magasin central de la gare. Il a trouvé à quelque distance du tas de marchandises destinées à être jetées à la voirie, des bulletins d’expédition provenant des colis qui contenaient les marchandises avariées. Ces bulletins, portant la gare d’expédition et celle de destination, ainsi que la nature du colis; ont été soigneusement recueillis par le magistrat. On comprend, en effet que, si parmi ces bulletins il en est un qui porte la mention : sac en toile, il pourra connaître la gare d’où le colis a été expédié. M. Atthalin paraît convaincu que le lugubre colis a été expédié d’une des gares du réseau dé la ligne de Lyon. Des recherches vont être faites dans toutes les gares, ce qui constitue un véritable travail, étant donné, le grand nombre de gares de la ligne, douze cents environ. On pense toutefois que ce travail sera terminé dans huit jours. Le brigadier principal Jaume s’est mis en campagne immédiatement. Un chimiste distingué, M. Magnin, prétend que par l'examen de la tête, à l’aide de récentes découvertes qu’il a faites, il pourra dire à combien de temps remonte la mort et si on se trouve en présence d’un crime. M. Brouardel a été commis pour l’examen médical et M. Magnin lui a été adjoint. Le colis contenant la tête coupée pesait environ six kilos.
Journal L'Intransigeant 24-3-1890 (Collection BNF Gallica).
UNE TÊTE COUPÉE.
La police de Sûreté, le parquet et les médecins légistes se préoccupent activement d’arriver, chacun dans la mesure de ses moyens, à la découverte de quelque renseignement relatif à la mystérieuse tête coupée de la gare de Lyon. Or, tandis qu’ils cherchent ainsi et vainement, à établir l’identité de la morte, il serait possible que la clef du mystère se trouvât à portée de leur main, sans qu’ils s’en doutassent. Le mystère de Chagnon. La justice est en présence d’une tête sans corps. Or, précisément, à Montbrison, se juge en ce moment le procès d’un crime où il s’agit d’un corps sans tête. Nous avons raconté cette affaire dans son temps. Au hameau de Laimieux, commune de Chagnon, à quelques kilomètres de Rive de Gier, vivaient les époux Peyrieux. La femme ménagère, le mari maître-mineur. Le couple ne s’accordait guère, la femme reprochait au mari de nombreuses ripailles et une perpétuelle course aux jupons. Le 21 juillet 1889 - qu’on retienne cette date — la femme Peyrieux disparut. Le mari fut arrêté sous l’accusation de l’avoir assassinée. Des fouilles furent organisées dans les environs pour retrouver le cadavre, et deux mois après, dans le puits de mine Henri, on découvrait, dans une anfractuosité de rocher où il était venu s’abîmer, un squelette affreusement disloqué, sans tête, et dont le thorax, les jambes et les pieds ôtaient dans un état de conservation relative: La mari comparaît en ce moment, comme nous l’avons dit, devant la cour d’assises de la Loire, et proteste énergiquement de son innocence.
- Curieuses coïncidences.
Nous avons été frappé des coïncidences curieuses qui existent entre le crime de Leimieux et cette découverte, toute fortuite, d’une tête à la gare de Lyon, parmi les colis non réclamés. Les dates, d’abord, semblent concorder. C’est le 21 juillet 1889, que le crime a été commis et le paquet dans lequel la tête était renfermée se trouvait dans les magasins de la Compagnie des chemins de fer de Lyon depuis sept mois environ. D’autre part et contrairement à ce qu’ont dit d’abord les médecins, la section n’est pas nette comme lorsqu’il s’agit d’une pièce anatomique, les praticiens laissant toujours après le tronc les vertèbres cervicales. Or, on a constaté que la section, faite peu habilement, a laissé attachées au cou lesdites vertèbres. La tête a dû appartenir à une femme de trente à quarante ans; or, (c’était à -peu-près l'âge de la victime. L’assassin, de la femme Peyrieux avait pris les plus grandes précautions pour éviter la découverte de son crime. Le puits où il jeta le cadavre a 85 mètres de profondeur. Qui eût jamais pu lui faire croire qu’on viendrait l’y retrouver? Craignant que son chien, très dévoué à sa maîtresse, put le trahir, en venant un jour ou l’autre se mettre en arrêt près du puits,.Peyrieux l’y avait précipité également. Mais les assassins n’ont pas toujours, heureusement, une présence d’esprit absolue le maître-mineur oublia de lui, ôter son collier, qu’on ramassa près du squelette. Par surcroît de précaution et pour éviter toute surprise, il a fort bien pu décapiter le cadavre, placer la tête dans une caisse, et l’expédier à Paris pour s’en débarrasser à tout jamais. Il est à remarquer encore que Chagnon, ou plutôt Rive-de-Gier, appartient au-réseau du P.-L.-M. Nous n’affirmons rien, bien entendu, et nous nous bornons à soumettre quelques hypothèses à la justice. C’est au parquet à voir ce qu'il y a de fondé dans ces coïncidences que nous relevons tout simplement.
Journal L'Intransigeant 27-3-1890 (Collection BNF Gallica).
UNE TÊTE COUPÉE.
La police de Sûreté s’est émue des coïncidences relevées entre le crime de Chagnon et 1a découverte d’une tête coupée à la gare de Lyon. Un télégramme été envoyé à Montbrison pour demander des renseignements mais d’une, part, le maître mineur Peyrieux a été acquitté par le jury de la Loire et, d’autre part, il résulterait de renseignements arrivés, hier, à Paris, que la tête mystérieuse, expédiée il y a huit mois d!une gare du Midi — Marseille- dit-on, proviendrait d’un assassinat commis il y a deux ans environ en province. Le nom de la victime serait connu. Elle serait âgée de cinquante ans. La fiche d’expédition aurait été retrouvée. En présence de ces versions contradictoires, nous croyons qu’il n’y a qu’à attendre les résultats de l’enquête
Journal L'Intransigeant 28-3-1890 (Collection BNF Gallica).
LA TÊTE COUPÉE
La piste de Nîmes, que nous signalions hier et sur laquelle s’était lancé le parquet de Paris au sujet de la tête coupée, ne semble malheureusement pas donner de meilleur résultat que celle suivie précédemment. Les registres de la Compagnie à Nîmes, portent bien comme nous l’avons dit, à la date du 5 août, une expédition sous le nom de Fabre- à Jean René, 76, rue de la Chaussée-d’Antin Paris, d’un colis grande-vitesse. Déclaré effets d'habillement. Le nom de l’expéditeur était faux, comme celui du destinataire. Mais depuis longtemps l’expéditeur du colis est connu. C’était un jeune homme nommé Prou, qui expédiait à de fausses adresses des colis contenant des pierres et sur lesquel s'il se faisait délivrer des débours par la Compagnie. Il fut arrêté à quelques jours de là; le colis expédié par lui fut ouvert à Paris et son contenu jeté sur un talus, le même jour sans doute que le paquet contenant la tête coupée, d’où la confusion. Il est probable que la tête n’est pas partie de Nîmes. C’est l’avis du parquet et de l’administration de la gare de cette ville. Un de nos confrères annonce qu’on vient de trouver également parmi les colis mis au rebut un paquet contenant des effets d’habillement de femme couverts de sang. Le fait est vrai, mais nous savons qu’il ne s’agit là que d’une simple coïncidence. Ce paquet renfermait, en effet, deux chemises de femme maculées de sang, mais, dès le premier examen, les magistrats ont pu établir qu’il n’y avait aucune corrélation entre cette trouvaille de linge sale et le crime présumé dont il s’agit. Hier, la tête coupée a été photographiée au laboratoire de toxicologie par M. Bertillon, chef du service anthropométrique. Encore un détail : nous avons dit que plusieurs dents manquaient à la mâchoire de la victime inconnue dont la tête a été trouvée rue de Bercy ? On s’est trompé en partie. Plusieurs dents détachées de leur alvéole ont été retrouvées. La femme assassinée, d’après un nouvel examen, serait jeune elle aurait de vingt-cinq à trente ans. A la dernière heure, l’agence Havas nous transmet la dépêche suivante :
Nîmes, 28 mars. Suivant de nouveaux renseignements, le colis renfermant une tête coupée aurait été expédié de Nîmes sur Marseille et sur Nice. Il aurait été envoyé ensuite à Nîmes pour être réexpédié à Paris. Le service de la Sûreté continue ses perquisitions.
Journal L'Intransigeant 30-3-1890 (Collection BNF Gallica).