30 août 1887, procès d'un curé... Faussaire, Paris
Circonstances de l’incident
- Un curé faussaire
Il y a, quelques mois, l’Intransigeant signalait 1e cas de ce curé qui avait découvert un ingénieux moyen de voyager ««à l’œil » sur diverses lignes de chemin de fer et notamment sur le P.-L.-M. . 'L’abbé Q......d', c’est le nom de l’individu, avait commencé par fabriquer pour son usage personnel de faux tickets. Puis, il eut l’idée d’étendre son industrie. A cet effet, il fabriqua de fausses lettres d’obédience au moyen desquelles il obtint des billets à demi-droit pour les élèves du pensionnat clérical où il professait. Il conduisait lesdits élèves en voyage et faisait, naturellement, payer aux parents le prix intégral du parcours. La Compagnie de P.-L.-M. découvrit la fraude; un chef de train eut même l'indiscrétion de pincer un jour le curé en flagrant délit et de lui demander des explications. Avec un aplomb tout sacerdotal; l’abbé Q........d protesta de son innocence ; s’il avait un billet faux entre les mains, le coupable ne pouvait être que l’employé qui avait délivré le billet. Néanmoins le chef de train, qui avait des doutes, ne lâcha pas le voyageur et l’emmena, à son, arrivée à Paris, devant le chef du contrôle. Là encore, le faussaire se défendit et donna, affaire d’habitude, un faux nom et une fausse adresse. On n’eût probablement pas laissé partir un laïque. L’abbé Q.....d, grâce à sa soutane, put se retirer sans qu’on l’obligeât à fournir d’autre explication. Les gros bonnets du P.-L.-M. essayèrent d’étouffer le scandale. Malheureusement L'Intransigeant, alors au courant de l’affaire, en révéla tous les détails et le parquet se vit dans l’obligation d’ouvrir une enquête qui se termina par l’arrestation du coupable. Hier, l’abbé Q.......d a comparu devant la Cour d’assises de la Seine, présidée par M. Morand. L’accusation ni a pas relevé moins de trente faux à la charge de l’accusé. Voici au surplus comment Q......d procédait. 11 avait fait fabriquer à Rome un certain nombre de billets de circulation dits « passe-partout » en blanc; comme en délivrent aux gares certaines Compagnies. Lorsqu’il voulait voyager, il remplissait les cases réservées aux destinations et ajoutait les, numéros qui donnaient auxdits billets le caractère d’authenticité indispensable. Nous l’avons dit plus haut : la Compagnie de P.-L.-M. avait trouvé déjà un certain nombre de billets de circulation faux. On les avait fait photographier et on avait remis les épreuves aux chefs de train. Le 22 février dernier, entre La Roche et Paris, M..., chef de train, reçut d’un curé un billet qu’il reconnut immédiatement pour un de ceux signalés. - Ce billet est faux ! dit l’employé. — Comment! s’écria le prêtre. Je ne suis pour rien là-dedans. Si le billet est aux, c’est l’employé de la gare de Cruet, Où je me suis embarqué, qui est responsable. Le chef de train, sans insister davantage, surveilla le voyageur. A l’arrivée à Paris, il le conduisit chez le chef du contrôle, qui interrogea à son tour le prêtre. Celui-ci paya encore d’audace; Le contrôleur n’osa pas le faire arrêter et le laissa partir, après lui avoir demandé son nom et son adresse. Q.......d lui déclara se nommer Bernard et demeurer rue de Rome. C’est, ainsi que nous l’avons dit, à la suite de la révélation de tous ces faits que l’enquête fut reprise. On découvrit alors que Q......d était professeur l’école de la rue Oudinot. On l’arrêta et, cette fois, il fit les aveux les plus complets. L’abbé Q.....d. est âgé de vingt-quatre ans; C’est un homme de taille moyenne, livide, brun, barbu. Il a laissé dans sa cellule sa défroque ecclésiastique et se présente devant le jury vêtu d’un costume noir. Il a été élevé au séminaire de Chambéry, d’où l’on dut l’expulser à la suite d’escroqueries nombreuses. Cette tare ne l’empêcha point de sa faire ordonner prêtre. A l’audience, l’abbé. Q.......d renouvelle piteusement ses aveux. Avec une ingénuité touchante, il déclare, qu’il ne croyait pas commettre un vol. Pour, lui, c’est un simple enfantillage. Me Robinet de Cléry a développé ce naïf système de défense. Le jury a cru devoir accorder, les circonstances atténuantes à Q......d, qui s’est tiré de là avec trois ans de prison et 100 d'amende. C’est pour rien.
Journal L'Intransigeant 31-8-1887 (Collection BNF Gallica).