Bulletin PLM n°15 de mai 1931: Les résultats de notre exercice 1930
Sommaire
Titre
Les résultats de notre exercice 1930 par M . Louis GEOFFROY , Contrôleur des Services Centraux à la Direction
Planche et figures de l’article
Article
« Pour avoir été moins brillants qu’en 1928, les résultats de notre exploitation n’en sont pas moins restés satisfaisants ». Telle pouvait être la conclusion, l’an dernier, puisque notre Réseau versait encore au fonds commun 110 millions contre 260 en 1928.
Et voici qu’avec 1930 qui nous a ramenés au temps du déficit, nous allons d’un seul coup demander au fonds commun une somme qui dépasse le total de nos excédents de 1928 et de 1929, à savoir 374 millions.
Si la situation que se propose d’exposer le présent article est sans doute grave, elle n’a, on le verra, rien de surprenant et les Réseaux l’avaient prévue, dans une large mesure, avant même que ne s’ouvrît l’exercice.
Mais leurs prévisions, déjà pessimistes, ne pouvaient tenir compte de l’influence aggravante de cette crise à laquelle notre Pays avait jusqu’alors échappé.
Quelle est donc la caractéristique principale de cette année 1930 ? La réponse est que notre Réseau a dû travailler à perte et voici pourquoi : sa situation était analogue a celle d’un commerçant dont les prix sont taxés très durement et qui ne peut réaliser de bénéfice que s’il arrive à répartir, sur suffisamment d’articles vendus, la masse de ses charges. Comme dit le vulgaire, très justement d’ailleurs, ce commerçant tente de « se rattraper sur la quantité » et, c’est précisément ce que n’a pu faire notre Compagnie en 1930.
Dans l’obligation de maintenir le prix de vente de ses services au même taux qu’en 1929, bien que ses prix de revient fussent augmentés, il eût fallu de toute nécessité qu’elle se rattrapât, en assurant un trafic de volume supérieur, et de beaucoup, à celui de 1929. Les courbes de la figure 1 montrent clairement que cet objectif n’a pas été atteint, le trafic, dans l’ensemble, n’ayant pour ainsi dire pas varié.
Qu’en résulte-t-il ? Le coefficient d’exploitation est monté à 89,4 %, pourcentage jamais atteint depuis 1921 et, comme l’indique la figure 2, il n’est resté qu’une faible marge bénéficiaire, ne suffisant pas à couvrir les charges de capital. C’est ce qui s’était produit pour toutes les années d’insuffisance, antérieures à 1926.
On est surpris à priori d’une aussi forte élévation du coefficient d’exploitation. Pour se l’expliquer, il suffit d’étudier un peu attentivement ce qu’a été l’exploitation en 1930, année décevante en face de laquelle le Réseau s’était présenté outillé et riche d’une main-d’oeuvre qui lui permettait d’envisager sans crainte une augmentation de trafic.
Les voyageurs
C’est seulement sur le trafic voyageurs qu’on aura enregistré une réelle progression : 2,3 % sur le nombre de voyageurs-kilomètres passé de 7 043 144 000 à 7 205 606 000.
Ainsi, malgré la crise mondiale, qui a retenu chez eux beaucoup de nos visiteurs étrangers, malgré le mauvais temps de la saison estivale, malgré la concurrence faible encore, mais certaine de l’automobile, concurrence qui s’est exercée surtout sur notre public des 1ère et 2ème classes, on a davantage voyagé, notamment à l’occasion des fêtes et des vacances.
Peut-on apporter, avec cette constatation, une preuve meilleure de la modicité réelle des tarifs et ne doit-elle pas être soulignée, à l’heure ou trop souvent on entend parler de tarifs « écrasants ». On semble oublier qu’en réalité abstraction faite de l’impôt la denrée voyage se consomme encore en France à un prix très inférieur à celui de tous les autres articles (1913, le tarif moyen perçu par km a été, sur le PLM, de 3,849 centimes. En 1930, il était de 13,192 centimes ou, en franc-or, de 2,6385 centimes, soit en diminution réelle de 31 %)) et que nos tarifs-voyageurs sont parmi les plus bas du continent (En monnaie française de 1913, un km en 3ème classe coûte actuellement : 4,03 centimes en France, 5,76 en Italie, 5 en Allemagne, 7,50 en Suisse et 9,80 en Angleterre. Pour les 1ère et 2ème classes, c’est encore la France qui détient le record du meilleur marché, pour les pays précités.).
Néanmoins, le voyageur ainsi favorisé s’imagine volontiers que le chemin de fer abuse. Il faut dire qu’on l’a bien habitué depuis 1921 à voyager à bon marché. Qu’il constate (figure 3) ce que sont devenus, en 1930, les 171 ,55 francs que représente son billet de 3ème classe Paris-Marseille. Il verra qu’une fois l’impôt acquitté, le personnel rémunéré, le charbon payé, il est resté dans la caisse du Réseau 53,10 francs pour l’entretien, la réparation et le renouvellement du matériel roulant, des voies et des gares et pour la rémunération des capitaux empruntés, etc…
Est-il besoin de conclure que ce ne fut pas suffisant ?
Les marchandises
Malheureusement, à l’augmentation du trafic voyageurs ne s’est jointe aucune progression du trafic GV. Bien pis, le trafic PV, source la plus importante de nos recettes, a fléchi, surtout après octobre, ne totalisant en fin d’année que 10 milliards 800 millions de tonnes kilométriques de marchandises contre 11 milliards 100 millions en 1929.
On avait pu tout d’abord escompter de bons résultats. En fait, alors que partout à l’étranger les recettes des chemins de fer avaient fléchi très sensiblement (Le premier semestre 1930 a enregistré des diminutions de recettes de 18,2 % au Canada, de 13 % en Allemagne, 12 % aux Etats-Unis, 9 % en Tchécoslovaquie, 4,7 % en Angleterre, 3,3 % en Italie, 2,7 % en Suisse.), les nôtres se maintenaient en bonne posture. Ce n’est que sur la fin de l’année que nous avons été, à notre tour, atteints.
Ayant subi une concurrence certaine de la part des transports automobiles, handicapé également par les mauvais résultats de la récolte de l’année et finalement touché par les premières atteintes de la crise, le trafic des marchandises n’a pu, il ne faut pas s’en étonner, qu’enregistrer une régression sans doute peu importante, mais qui n’en a pas moins eu pour effet de ramener l’ensemble de nos recettes à un chiffre inferieur de 47 millions à celui de 1929.
- Les grands groupes entre lesquels se partage le tonnage des expéditions PV ont présenté, par rapport à 1929, les différences suivantes d’importance :
- Combustibles - 9,22%
- Industries diverses - 1,57%
- Agriculture + 0,39%
- Construction + 1,69%
De telles variations, surtout si on les rapproche de celles qu’enregistrait 1929 (Bulletin de juillet 1930) soulignent avec assez d’évidence le ralentissement de l’activité économique.
L’industrie au ralenti et le Chemin de Fer
Lorsque « les affaires ne vont pas », l’industriel arrête les frais ou plutôt il les limite, soucieux de maintenir un rapport constant entre ses dépenses et ses recettes amoindries. En attendant une reprise, il fera marcher son usine au rythme ralenti que lui imposera la consommation.
Mais, dans une industrie complexe comme la nôtre, cette industrie qui est, peut-on dire, la résultante de tous les besoins industriels et commerciaux, il serait pour beaucoup de raisons, cela se conçoit malaisé et malavisé d’opérer aussi radicalement. Ce serait, au demeurant, chose impossible, avec toutes nos obligations contractuelles. On se représente difficilement, par exemple, un réseau qui fermerait ses gares un ou deux jours par semaine, sous le prétexte peut accumuler tout le trafic sur les autres jours, obtenir ainsi un meilleur rendement des trains mis en marche, du personnel, etc. et économiser de cette façon ses dépenses d’exploitation durant les journées fermées au trafic.
D’ailleurs ne risquerait-on pas ainsi de dérégler, d’amoindrir l’instrument ferroviaire, cet outil primordial de la nation, qu’une prudence élémentaire recommande au contraire d’entretenir en parfait état ? Du jour au lendemain, ne l’oublions pas, le pays peut exiger de lui des services plus considérables.
Qu’adviendrait-il alors, si des transports défectueux venaient paralyser la reprise de l’activité industrielle avec toutes ses exigences ? On verrait immanquablement s’indigner, contre l’insouciance des Compagnies, leur mauvais outillage, désuet ou insuffisant, ceux-là mêmes qui qualifient d’excessives leurs dépenses... Ces dépenses qu’il est pourtant sage et nécessaire d’engager pour l’entretien et la réparation de notre matériel, de nos voies, de nos gares.
- Ce caractère d’industrie résultante, que revêt essentiellement le chemin de fer, d’autre part rôle de véhicule aux ordres de l’économie nationale, peuvent donc expliquer, avec ses conséquences, la double nécessité suivante :
- En période de prospérité économique, lorsque les besoins de la production et de la consommation sont en progression, il faut constamment adapter l’instrument ferroviaire, avec le temps que cela nécessite, et augmenter sa puissance en personnel, en matériel roulant, en installations de gares,
- En période de calme ou même de régression momentanée, l’instrument doit être habilement entretenu et maintenu dans son état de perfectionnement. En tout cas, ce n’est qu’après une observation suffisante des événements qu’il sera possible de ne plus utiliser toute sa puissance.
Cela dit, on sait que 1929 avait été dans l’ensemble une année d’accroissement du trafic, de débit très faible au commencement de l’année, mais précipité par la suite. Les difficultés d’exploitation que nous avions connues nous ont donc logiquement conduits à accroître la capacité de rendement du réseau : 1930 nous a trouvés plus puissamment outillés et, nous a apporté, nous l’avons vu, moins de travail que 1929.
L’aggravation du prix de revient
C’est ainsi qu’en ce qui concerne le rendement du personnel par km exploité, on peut constater (figure 4) qu’à un effectif accru correspond un total légèrement moindre d’unités de trafic (voir la définition des unités de trafic au Bulletin de mai 1 929). On sera encore plus édifié si l’on pense que la main d’œuvre a coûté plus cher par suite des augmentations successives de salaires, qui ont été certes les bienvenues, mais qui n’ont été compensées par aucune augmentation du produit de l’unité de trafic, les tarifs étant restés les mêmes qu’en 1 929.
Le parcours total des trains s’est accru d environ 2%, atteignant le chiffre de 122 829 700 km. Il en a été de mêm e du tonnage brut remorqué, qui a atteint 54 milliards 200 millions de tonnes kilométriques. Malgré cela, la consommation de combustibles a été en légère diminution, mais il a fallu néanmoins dépenser de ce côté 34 millions de plus par suite d’une augmentation de 12 francs par tonne du prix des combustibles.
Si l’on ajoute a cela qu’il a fallu consacrer des sommes très importantes à l’entretien et à la réparation du matériel roulant, en particulier des locomotives si durement éprouvées par le terrible hiver de 1929, on peut avoir une idée assez complète de l’aggravation en 1930 du prix de revient des transports.
Les résultats financiers de l’exploitation
Les résultats financiers, représentés par le graphique de la figure 5 donneront à réfléchir. Le coffre-fort ouvert et vide, c’est notre insuffisance de 374 millions que théoriquement le fonds commun doit combler. En réalité, le fonds commun est actuellement épuisé et pourtant notre Réseau n’y a-t-il pas versé, de 1926 à 1929, un total d’excédents se montant à 717 millions ? ...
Au niveau du coffre-fort vide, est figuré pour mémoire, en pointillé, un autre coffre-fort contenant une somme qui dépasse très largement notre insuffisance : c’est l’impôt que nos transports ont rapporté à l’Etat en 1930. (Ce n’est pas tout ; pour être complet, il faut donner le chiffre des économies que l’Etat réalise en nous faisant assurer certains de ses transports : soit 269 millions de francs).
Si l’on regarde du coté des recettes d’exploitation, on voit que la recette voyageurs ne représente qu’un peu plus du tiers de la recette PV. Sait-on qu’en 1913, elle en représentait plus de la moitié ? Or, les deux trafics ont suivi une progression voisine par rapport à l’époque d’avant-guerre. Que faut-il donc voir là, sinon une nouvelle preuve de la faiblesse des tarifs-voyageurs ?
Quant à la recette PV, on peut noter qu’elle devrait être plus forte d’environ 50 millions si la Compagnie ne s’était vu imposer au début de 1930 une réduction sur les tarifs des vins.
Du côté des dépenses, signalons que sur presque tous les chapitres pèsent des augmentations. Il en est de même pour la charge des emprunts, qui s’élève à 760 millions.
Conclusion
Le rétablissement de l’équilibre est évidemment subordonné, avant tout, à la mise en vigueur de ces deux mesures dont on parle tant : l’augmentation des tarifs et un dégrèvement fiscal.
Est-ce à dire qu’il ne nous reste plus qu’à attendre passivement leur intervention ? Non, à cote de ces deux mesures dont la responsabilité, sinon l’initiative, échappe aux Réseaux, il en est une troisième qu’il est en notre pouvoir, à tous, d’appliquer dès maintenant. C’est l’abaissement du prix de revient de nos transports grâce à une compression des dépenses d’exploitation, fruit d’une politique adroite d’économies.
Déficit ! Le mot ne sonne tout de même pas comme un glas sur nos lignes, car le Réseau ne peut être rendu responsable d’une situation qu’il a voulu conjurer, lorsqu’il en était temps. Ce son de cloche n’en doit pas moins retentir partout comme un appel à l’économie.
Ne disons pas : « On a déjà trop rationalisé, les économies sont maintenant impossibles... » Ce serait vouloir nier le progrès, à l’heure ou sa recherche s’impose le plus dans tous les services.
Déficit ! Il faut maintenant et plus que jamais compter, calculer, chacun dans sa sphère, en vue du rendement le meilleur, qui est le rendement le moins onéreux. Et si ces lignes ont fait apparaître pour certains une situation plus grave qu’ils ne croyaient, ce sera tant mieux. Comme l’écrivait déjà en 1896 un Sous-Chef de l’Exploitation de notre Compagnie (étude sur les Chemins de fer français par M. Bonneau) : « L’opinion que le personnel se fait de la situation joue un très grand rôle dans les dépenses. Quand on est convaincu que la situation est difficile, tout le monde fait des efforts et l’on obtient des résultats inespérés »
Ces efforts, les Agents de 1931 peuvent les faire tout autant que leurs prédécesseurs et avec la même compréhension des circonstances. Ajoutons qu’ils les feront dans des conditions moins ingrates. Et s’il est vrai, comme l’a dit avec optimisme André Maurois, qu’ « une crise vide les poches et remplit les cerveaux », il n’est pas douteux que, par la sagesse de tous, agents, usagers, contribuables, notre grand Réseau puisse remporter contre le déficit la victoire qu’attend le Pays.