Bulletin PLM n°7 de janvier 1930: Les machines à statistique
Sommaire
Titre
Les machines à statistique par M. Bolle, Chef de la Comptabilité du Matériel et de la Traction
Planche et figures de l’article
Origine
Tout le monde connaît aujourd’hui la machine à écrire, beaucoup ont vu ou manié des machines à calculer où, les éléments de l’opération à effectuer étant posés à l’aide de touches numérotées ou de curseurs, quelques coups de leviers, à main ou électriques, suffisent à faire apparaître le résultat.
Les machines à statistique sont beaucoup moins connues, en Europe tout au moins. Ce n’est pas pourtant, que l’idée en soit très neuve. Dès 1820, le savant anglais Babbage combinait, d’une part, l’invention des compteurs à roues dentées, avec report automatique des dizaines invention réalisée, en 1641, à l’âge de 18 ans, par notre grand Pascal et, d’autre part, celle des cartons perforés, avec lesquels un autre Français, Jacquard, parvenait, en 1805, à guider les fils destinés à tisser les plus ingénieux dessins. D’une façon analogue, Babbage faisait imprimer, sur un rouleau de papier, les calculs les plus compliqués, exécutés par des roues dentées de sa machine. Mais la mort enleva l’ingénieux inventeur avant qu’il ait pu terminer les spécimens de démonstration qu’il s’était mis en devoir de construire lui-même.
Longtemps, cette extraordinaire invention resta ensevelie dans l’oubli, avec l’inventeur. Ce n’est qu’au début du présent siècle que les Américains la reprirent pour en faire des applications limitées, mais essentiellement pratiques, d’abord, pour des opérations de recensement, ensuite pour des statistiques, voire des comptabilités commerciales et industrielles. Deux types principaux de machines virent ainsi le jour les Hollerith, à liaisons électriques, les Powers, à liaisons mécaniques.
Fonctionnement
Pour l’un et l’autre type, la succession des opérations est toujours la suivante :
Cartes
Des cartes à 45 colonnes où s’étagent 10 chiffres 0 à 9, constituent la liaison essentielle, comme l’avait indiqué Babbage, entre les données du problème et les résultats imprimés. Ces colonnes peuvent être groupées, comme on le voit sur la figure 1, en un certain nombre de zones, appropriées à chaque question traitée, chaque zone correspondant à une donnée spéciale, qu’on inscrit en pratiquant des trous sur les chiffres qui la représentent. Pour les données numériques, telles que les dates et les quantités, la perforation de la zone intéressée reproduit simplement le nombre considéré. Mais quand une donnée est constituée par un mot, tel qu’un nom de matière, il faut avoir préalablement représenté ce mot par un nombre, avoir, par conséquent, établi un code où l’on trouve la traduction en chiffres, autrement dit les index de toutes les dénominations en cause. Les documents de base (bulletins de traction, bons de travaux, de matière, etc.) portent naturellement toutes indications permettant de les traduire en cartes perforées, soit qu’on y ajoute un cartouche où ont été inscrits tous les nombres à poinçonner, données numériques et « index », soit, à la place de ces derniers, les mots qu’un « code » placé à la portée de l’agent perforateur, le met à même d’indexer au moment même de la perforation.
Perforatrices
Ces trous sont effectués à l’aide d’une perforatrice, dont le modèle est représenté par la figure 2. La carte est glissée sur le plateau et, sous les poinçons actionnés par les touches T, guidée sur ses grands côtés, elle avance automatiquement d’une colonne, chaque fois qu’un trou a été percé. Avec quelques mois d’entraînement, on parvient à de remarquables vitesses. C’est ainsi qu’il n’est pas rare de voir perforer plus de 250 fiches à l’heure, sur 45 colonnes, et non pas seulement pendant quelques instants, mais comme moyenne d’une journée entière de travail.
Vérifications
- Cela fait, il est indispensable de s’assurer que les perforations ne sont pas entachées d’erreurs, car tant vaudront les cartes tant vaudra l’exactitude des renseignements qu’on en tirera. La vérification des cartes se fait :
- soit à l’aide d’une vérificatrice mécanique, Appareil analogue à la perforatrice, mais dont les poinçons, munis de caoutchouc et actionnés en relisant le document de base, doivent repasser par les trous pratiqués dans les cartes si celles-ci sont exactement perforées. Sinon, le poinçon rencontre le papier, l’appareil se bloque et l’examen de la carte révèle l’erreur.
- soit en s’assurant que certaines relations naturelles ou artificielles entre certains groupes de colonnes existent bien réellement. En pareil cas, étant donné un paquet de fiches classé sur un groupe déterminé, une broche, passée dans les trous de ce groupe, doit passer dans les trous du groupe connexe. Nous verrons plus loin, à propos de la Statistique des parcours, des applications de cette fructueuse méthode.
Trieuses
Voici donc nos cartes bien et dûment constituées, perforées et vérifiées, On y a accumulé, on le voit, toute une série de données. Il s’agit maintenant d’analyser celles-ci, d’en tirer le plus de renseignements possibles. On peut, par exemple, désirer connaître à la fois les quantités et le montant de matières livrées, par date, par service preneur et par nature de matière. Bien entendu, si on a soin de ne pas mélanger les paquets journaliers de bons et documents divers reçus à l’atelier des machines à statistique, le classement par date se trouve déjà réalisé.
Mais il est indispensable, pour les autres renseignements, de faire intervenir une trieuse mécanique. Les cartes, qui se trouvent dans un ordre tout à fait arbitraire, sont déposées, en paquets à plat, dans un magasin M, en tête de la trieuse (figure 3). Un curseur, voisin de ce magasin et se déplaçant sur une réglette graduée de 1 à 45, permet de trier sur l’une quelconque des 45 colonnes. Le curseur placé sur la colonne 14, par exemple et le moteur mis en marche, toutes les cartes, happées une à une à la sortie du magasin, sont entraînées tout au long de l’appareil à la queue-leu-leu, chacune tombant dans la case correspondant au chiffre perforé dans sa colonne 14. Supposons qu’il s’agisse de trier par nature de matière on classera d’abord les cartes en les triant de façon à mettre ensemble les chiffres d’unités de l’index de la matière choisie.
Puis, reprenant les cartes dans les cases où elles se sont rassemblées et dans l’ordre de celles-ci, on les repassera dans la trieuse pour obtenir, après le classement par unités, le classement par dizaines et ainsi de suite. Les trieuses fonctionnent sans arrêt (Les cartes peuvent, en effet, être emmagasinées sur le plateau de la machine et retirées des cases pendant la marche), ce sont des machines qui vont vite en besogne, elles font défiler 400 cartes à la minute, et ne se trompent jamais.
Tabulatrices imprimantes
Nos cartes sont maintenant classées dans un ordre bien déterminé et choisi à l’avance. Il ne reste plus qu’à leur faire imprimer un tableau qui combinera, en chiffres clairs, les nombres ainsi groupés et les renseignements cherchés correspondants. Ce sera l’affaire des tabulatrices imprimantes, la figure 4 représente une de ces machines.
Les cartes, préalablement triées, comme il a été dit, sont placées sur champ dans un magasin M, d’où elles sont entraînées une à une, par un dispositif mis en mouvement par le petit moteur m, à l’intérieur de la machine. Là, des commandes électromécaniques agissent, à travers les perforations des cartes, sur des roues dentées correspondant chacune à un certain ordre d’unités et groupées en compteurs. Les totaux apparaissent, au fur et à mesure de leur formation, dans les lucarnes LL.
Une fois obtenus simultanément les totaux relatifs à un groupe de données déterminées (à une certaine matière et pour chaque date pour un service preneur donné, par exemple, dans l’hypothèse admise plus haut), ils s’impriment, avec l’indication de leurs références communes, sur la bande de papier P d’un cylindre qui tourne au rythme de l’impression, en même temps que la machine s’arrête et vide complètement ses compteurs où se sont élaborés les dits totaux, ramenant tous les chiffres des lucarnes à zéro. Elle repart d’elle-même, automatiquement, pour la constitution des totaux relatifs au groupe de données suivant. Elle peut produire ainsi, simultanément, dix totaux distincts, se rapportant à la même référence. Les tabulatrices an usage au PLM comportent, sous les compteurs, un tableau S à fiches, analogue à un standard téléphonique, qui permet, en y implantant des fiches suivant tel diagramme qu’on désire, d’obtenir des états présentant les données disposées de toutes les façons possibles, sans souci de l’ordre où elles se présentent sur les cartes.
Le débit des cartes est de 75 à 150 à la minute, selon l’ordre de grandeur du détail que l’on recherche.
Avantages des machines à statistique
Les principales caractéristiques des machines à statistique (MAS) se dégagent de ce qui précède : vitesse, précision, combinaisons multiples, toutes qualités qui manquent absolument aux statistiques dressées à la main; si bien que, grâce à ces machines, les problèmes les plus ardus, devant lesquels on s’était récusé jusqu’alors, en raison de leurs complications ou, tout au moins, du temps énorme requis pour les résoudre, sont menés à bien, par le traitement mécanique, avec une aisance, une rapidité et une sûreté telles qu’elles déconcertent au premier abord. C’est ainsi que certains Services, insuffisamment familiarisés avec les machines, hésitent à leur demander de répondre à des questions qui, extrêmement ardues si on les étudie par les moyens ordinaires, ne sont qu’un jeu pour les dites machines.
Utilisation des MAS sur le PLM
Le PLM se devait de chercher à tirer de ses MAS tout le parti possible dans l’étude des multiples et difficiles problèmes qui se présentent. Dès 1925, le noyau d’un atelier de MAS était créé à la Comptabilité du Matériel et de la Traction. Il est maintenant en état d’aborder toutes les questions qui lui sont posées, de fournir ainsi aux Services les renseignements statistiques et même comptables les plus précieux et les plus inédits, de soumettre les données qui lui sont confiées à une exploration qu’on ne pouvait même imaginer, d’ouvrir ainsi, sur la gestion du Réseau, les vues les plus intéressantes.
De fait, les applications que traite cet atelier sont déjà des plus nombreuses et des plus variées et portent sur plus d’un million de cartes par mois.
La figure n° 5, qu’on pourrait appeler le cadran des MAS, donne synoptiquement, avec la désignation des dites applications, une idée de leur variété et de leur nombre, en même temps qu’elle en fait ressortir le rythme. On y voit comment les divers travaux s’imbriquent, pour ainsi dire, les uns sur les autres, de façon à ne laisser aucun « creux » inemployé et à obtenir ainsi des machines un rendement maximum. Ce cadran montre, en particulier, comment s’articulent, en un mois M, les travaux portant sur les résultats des mois M, M - 1 et M - 2.
Leur ensemble constitue une sorte de train d’engrenage bien réglé, dont le fonctionnement doit être constamment surveillé et suivi avec un soin tout particulier, par des moyens mécaniques, pour assurer la continuité et la régularité du mouvement.
Un rapide examen de deux des principales applications concrétisera maintenant les explications ci-dessus :
Statistique des parcours et préparation du calcul des primes des mécaniciens et chauffeurs
Les cartes, au nombre d’environ 300 000 par mois, sont toutes perforées à l’atelier de Paris, d’après les indications de papillons placés au bas des bulletins de traction, remplis par les bureaux des ingénieurs, détachés et envoyés par ces derniers au dit atelier.
La vérification par zones, mentionnée ci-dessus, trouve ici de nombreuses applications. On vérifie ainsi, par exemple, que le premier chiffre du numéro d’un train, lequel commence par le même chiffre que le numéro indiquant la nature de celui-ci, est bien identique, en effet. De même, le premier chiffre du numéro matricule d’un mécanicien doit être celui de son dépôt d’attache. On remarquera que, si on trouve ainsi une perforation fausse, elle peut l’être soit parce que l’agent opérateur a mal reproduit la donnée du document de base, soit aussi parce que c’est ce document qui est erroné. Ainsi donc cette vérification contrôle à la fois et la carte et le document de base, ce dont il est inutile de souligner l’intérêt.
Le triage des cartes ainsi perforées et vérifiées doit être réglé pour donner naissance à 22 états différents. Si l’on ne prenait pas de précaution spéciale, il faudrait effectuer 72 tris pour satisfaire à ces 22 états. Mais on a remarqué que certains tris étaient communs à plusieurs états et qu’on pouvait les exécuter dans un ordre tel que chacun de ces tris ne soit effectué qu’une seule fois et serve à tous les états où il a sa place. On a ainsi réduit de 72 à 52 le nombre de tris et réalisé plus de 30 % d’économie, représentant, sur les 5 trieuses employées à ce travail, 1 trieuse 1/2. On peut compter ainsi sur 15 000 000 de passages mensuels de cartes dans les trieuses.
Les tabulatrices se chargent ensuite de dresser automatiquement les 22 états nécessaires, qui exigent environ 2 300 000 passages de cartes chaque mois. Le fonctionnement de ces machines est constamment contrôlé (soit en faisant faire, quand cela est possible, deux fois les mêmes totaux par deux compteurs indépendants de la même machine ou par deux tabulatrices différentes, soit en passant entre divers états des séries de cartes dont les résultats sont connus d’avance.), de façon à obtenir une sécurité de résultats qu’on peut pratiquement considérer comme absolue.
Statistique commerciale de l’Exploitation
L’établissement par les MAS de la statistique commerciale de l’Exploitation a permis de donner à celle-ci une précision et un développement inconnus et irréalisables jusqu’alors, et cela sans avoir à demander aux gares un concours très onéreux et dont on ne pourrait d’ailleurs pas attendre les mêmes résultats.
Grâce aux MAS, le Service de l’Exploitation possède à l’heure actuelle toute une documentation sur les courants de trafic, sur les échanges par zones commerciales, par nature de marchandises, destination, etc., que, jusqu’ici, il n’obtenait que de façon très insuffisante. Il est ainsi en mesure et d’aménager ses tarifs sur des bases beaucoup plus solides et de contrôler les résultats de leur application.
La rapidité du travail des MAS est ici un avantage de première importance car, en pareille matière, tout renseignement tardif perd une grande partie de son intérêt.
Les données nécessaires à la perforation des cartes sont puisées sur les relevés de quinzaine, fournis par chaque gare et comportant la nature des marchandises expédiées, les tarifs appliqués, les tonnages et les recettes.
Ce sont les agents perforateurs qui, au moment où ils perforent les cartes, traduisent en chiffres les noms de gares, de marchandises, à l’aide de codes spéciaux.
Les perforations sont vérifiées, partie à la vérificatrice mécanique, partie à l’aide des recoupements de zones de renseignements, comme celles de la Traction. C’est ainsi qu’après avoir classé les fiches par zones commerciales, on les trie par centaines de kilomètres de parcours, grâce à quoi on peut confronter le rapport qui doit exister entre la distance ainsi cataloguée et l’écart numérique des index des gares expéditrices et destinataires qui conditionne cette distance.
Autre exemple à chaque groupe numérique désignant un groupe de marchandises donné correspond un numéro de tarif déterminé. La vérification à la broche permet de s’assurer de cette correspondance. Conséquence curieuse un agent ignorant tout de l’art de la taxation, peut ainsi découvrir automatiquement que telle gare n’a pas appliqué, ou tout au moins pas indiqué le tarif voulu pour une marchandise portée sur son relevé.
Les relevés des gares sont ainsi contrôlés à distance, mécaniquement, sans que les défaillances de ces relevés puissent échapper à ce contrôle.
Ajoutons que les cartes, classées par nature de marchandises, disposition qui réduit au minimum les tris à effectuer ultérieurement, sont conservées en archives pendant cinq ans, de façon à pouvoir être reprises pour fournir à la demande tel ou tel renseignement particulier. Un tel travail à la demande serait pratiquement irréalisable à la main.
Disons pour terminer, qu’une notable partie de la statistique commerciale de l’Exploitation a pu être absorbée par l’atelier des MAS, avec le seul outillage dont il disposait pour la statistique des parcours, grâce à un « creux » de quelque 20 %, que des perfectionnements dans l’organisation du travail avaient permis de réaliser. On a recueilli là un très substantiel avantage, qui met en lumière l’intérêt considérable qu’il y a à « imbriquer » les travaux les uns sur les autres et par conséquent, à grouper, dans un même atelier, sous une direction unique, les travaux de tous les Services de Statistique. On ne saurait trop insister sur cette double nécessité, si l’on veut utiliser les MAS avec le maximum de profit.