Guerre de 1870: le PLM dans la guerre

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Extrait de livre "Hommes et choses du PLM" publié en 1910

La guerre

Le jour même de la déclaration de guerre, le 15 juillet 1870, la Compagnie était requise de mettre tous ses moyens de transport à la disposition du Ministre de la Guerre.


Le lendemain, les trains de troupes et de matériel circulaient sur le réseau, mais très vite la situation fut rendue difficile par la nécessité où l’on se trouvait de mener de front les transports militaires et l’approvisionnement de Paris, et de suffire aux courants précipités d’émigration que produisait l’approche de l’ennemi.


Dès les premiers jours de septembre Mrs Audibert, Directeur, et Ruinet, sous-directeur de l’Exploitation, durent fixer le siège de l’administration départementale à Clermont-Ferrand où Mr Coffinel était alors inspecteur principal. Le 13 septembre l’arrivée des armées allemandes obligea à évacuer les tronçons de lignes qui avoisinaient Paris et à limiter l’exploitation à Sens sur la ligne de la Bourgogne, et à Montargis sur celle du Bourbonnais.


Sauf l’occupation temporaire des environs de Montargis qui, du 22 au 28 septembre, ne permit pas aux trains de dépasser Gien, la situation ne se modifia guère jusqu’au milieu d’octobre. A partir de ce moment, et en moins de quinze jours, les progrès de l’ennemi firent reculer les têtes de lignes à Tonnerre, à Dijon et à Beaune sur la ligne de la Bourgogne, à Gien sur la ligne du Bourbonnais, et abandonner complètement les embranchements d’Auxerre, de Châtillon-sur-Seine et de Gray.


Les communications sur Besançon et Belfort restaient encore ouvertes par la ligne de Bourg à Lons-le-Saunier. Mais, au début de novembre, l’autorité militaire de Besançon détruisit quatre ponts sur le Doubs, entre Clerval et Montbéliard: tout espoir de secourir Belfort était désormais perdu.


Le 30 octobre, Dijon avait capitulé après sept heures de combat. Du 1er au 7 novembre les Allemands poussèrent dans les vallées de la Saône et de l’Ouche des reconnaissances qui déterminèrent l’évacuation des sections de Chagny à Montchanin et d’Autun à Epinac. Leur objectif était l’établissement du Creusot où se trouvait une grande quantité de matériel de guerre en construction. Grâce à l’activité de Mr de la Taille, inspecteur de la ligne à Autun, tout ce matériel put être chargé le 5 novembre sur 70 wagons et dirigé vers Moulins.


Dès lors Dijon et Gien, occupés et réoccupés à diverses reprises, marquent la limite extrême qu’il n’est plus permis de dépasser au nord et en deçà de laquelle le service se trouve arrêté à des distances variables d’un jour à l’autre, suivant les péripéties de la lutte terrible qui va s’engager dans cette région sous l’impulsion venue de Bordeaux.


Gambetta, passant outre aux avis de Bourbaki et de Chanzy, avait décidé en effet, dans l’espoir de dégager Paris, de tenter une diversion dans l’extrême-est.


Le 19 décembre, à trois heures du matin, Audibert recevait de Mr de Freycinet la dépêche suivante expédiée de Bordeaux :


« Il est probable que Gambetta, présent à Bourges, aura besoin demain lundi, du concours de votre Compagnie pour prendre des dispositions spéciales. Je vous prie donc de vous rendre directement à Bourges et de vous adresser de ma part à Mr de Serres chez M. Gambetta. Il n’y a pas un instant à perdre. »


Il s’agissait de transporter sans délai le 18ème et le 20ème corps alors concentrés vers Bourges, de la Charité et de Nevers sur Autun, Chagny et Chalon, et, en même temps, le 24ème de Lyon vers Besançon : en tout 90 000 hommes plus l’état-major et les services auxiliaires. La Compagnie d’Orléans devait fournir une partie du matériel nécessaire au transport des troupes réunies à Bourges.


L’insuffisance des communications télégraphiques, la nécessité de maintenir immobilisées à Lyon les voitures indispensables au mouvement du 24ème corps, les difficultés que rencontra la Compagnie d’Orléans à faire rentrer ses wagons arrêtés sur la ligne de Cherbourg firent perdre plusieurs journées.


Le 24 seulement, sous la direction de Mrs Bidermann, chef de l’Exploitation, Coffinet et Mitchell, inspecteurs principaux, l’embarquement prit une allure accélérée par les trois stations de la Charité, Nevers et Decize.


Mais des obstacles de toute nature vinrent contrarier les opérations la neige, le froid exceptionnel, la température se maintenait constamment de 12 à 16 degrés au-dessous de zéro, ralentissaient les manoeuvres de formation des trains.


Plusieurs machines durent jeter leur feu par suite de ruptures de conduites ou de congélation des tuyaux. Enfin, un encombrement inouï entravait le retour du matériel vide : 1 800 wagons chargés d’approvisionnements stationnaient entre Nevers et Moulins, entassés dans les gares, et bloquant toute la seconde voie entre Saincaize et Saint-Imbert sur une longueur de 16 kilomètres.


La situation se compliqua encore lorsque Gambetta, impatient d’obtenir des résultats décisifs, se décida à envoyer le 15ème corps à Bourbaki. Le 31 décembre Mr de Freycinet télégraphiait au représentant de la Compagnie: « Veuillez prendre toutes vos dispositions pour pouvoir, aussitôt que vous en aurez reçu ordre par le télégraphe, transporter en trente-six heures le 15ème corps d’armée de Vierzon, où il est actuellement, sur un point à déterminer de la ligne de Vesoul à Montbéliard... »


Le lendemain, Audibert était avisé que l’opération annoncée commencerait le 3 janvier à 6 heures du matin et devrait être terminée le 4 dans la soirée, soit un jour et demi pour conduire 35 000 hommes, 20 batteries d’artillerie et les services habituels de l’Intendance sur un parcours d’environ 455 kilomètres encombré de trains militaires et de convois de ravitaillement !


Malgré les observations présentées par la Compagnie, le point de destination fut fixé à Clerval, dernière station accessible au delà de Besançon sur la ligne de Montbéliard, et dont la gare des plus restreintes ne possédait ni quais pour les débarquements d’artillerie et de cavalerie, ni voies pour garer les trains.


Ce choix eut des conséquences déplorables. L’embarquement se fit très ponctuellement à Vierzon et à Bourges, mais les trains ne pouvant se décharger restèrent échelonnés pendant plus de dix jours, depuis Saincaize et Nevers jusqu’à Clerval, par un froid de moins 12 à moins 15 degrés. Les chefs n’osaient pas donner aux soldats l’ordre de descendre et de se cantonner dans les villages, ignorant à quel moment la circulation pourrait reprendre. Des souffrances terribles furent endurées. Un grand nombre de chevaux périrent.


Mais ce qui fut peut-être plus désastreux encore, c’est que les approvisionnements de l’Intendance furent, par suite de cet encombrement, arrêtés sur des points éloignés du théâtre des hostilités.


Le 19 janvier l’avant-garde de Manteuffel arriva sur la Saône menaçant Dijon et Dôle et obligeant Bourbaki à se mettre en retraite. La communication de l’armée française vers Dijon fut interceptée à Dôle le 21, celle avec Lons-le-Saunier le 24. Plus de 2 500 wagons restèrent immobilisés entre Lyon et Besançon couvrant les voies, remplissant les gares, rendant tout service impossible. Ce fut la fin : l’armée de l’Est, séparée de ses approvisionnements, prise en tête et en queue par des forces supérieures, dut gagner le territoire suisse sous la protection des vieux forts de Salins et de La Cluse que Mr Robert, inspecteur de la ligne à Pontarlier, avait réussi à approvisionner.


Les Compagnies secondées par un personnel admirable avaient fait, en province, un effort considérable. « Par les temps les plus affreux, aux températures les plus basses, les manoeuvres s’effectuaient dans les gares, les modestes ouvriers de la voie, les pieds dans la neige, assuraient l’espacement des trains, les mécaniciens passaient des semaines sur les machines. A Forbach, à Orléans, au Mans, à Dôle, les agents des chemins de fer sauvaient les caisses, les munitions, les vivres de l’armée, et travaillaient pendant des heures entières sous le feu de l’ennemi. »


Dans Paris assiégé, les Compagnies fournirent à la défense le talent de leurs ingénieurs et le travail de leurs ateliers, fabriquant le matériel, improvisant l’armement, installant des machines pour la trituration des grains nécessaires à l’alimentation, établissant à leurs frais des ambulances. « C’est de leurs gares que sont partis les ballons qui, plus heureux que les locomotives, pouvaient franchir les lignes allemandes et porter à la province des nouvelles de Paris. Leurs ateliers ont été transformés en arsenaux, et même leurs gares en parcs à moutons ; en un mot elles ne sont demeurées étrangères à aucun des efforts qui ont été tentés pour la défense nationale, et elles méritent la mention la plus honorable dans l’histoire du siège. »


La convention qui régla les préliminaires de paix ne rendit pas au PLM les lignes occupées. Elle n’autorisa même l’exécution des trains nécessaires au ravitaillement de Paris par la ligne du Bourbonnais que sous la tutelle de l’Administration allemande qui resta, jusqu’au 15 mars, en possession des voies sur lesquelles elle avait établi des services d’approvisionnement. Malgré les obstacles de toute nature qu’entraînait l’application de ce régime la Compagnie put, le 5 février, mettre en marche les trains de ravitaillement et, le 9 du même mois, organiser un service de voyageurs.


La Commune de Paris

Il y avait donc à peine quelques jours que l’activité avait repris sur le réseau quand l’insurrection de Paris éclata. Le matériel, les marchandises, les valeurs accumulées dans les établissements de la Compagnie se seraient donc trouvés à la merci des comités et des bandes qui semaient partout le désordre, si le personnel n’avait su résister aux sollicitations et aux menaces des recruteurs de la Commune.


Durant le siège, les ouvriers des Compagnies avaient formé dans la garde nationale des bataillons distincts qui avaient vaillamment manié tour à tour l’outil et le fusil. Ils eurent, en 1871, la même attitude patriotique. Les ateliers des chemins de fer gardèrent leur activité, « leurs ouvriers ne se mêlèrent pas aux insurgés et, lorsque tant d’autres se laissaient entraîner, ils demeurèrent fidèles à leurs devoirs de bons citoyens et d’honnêtes gens. Voilà ce que produit une organisation sagement entendue. Elle entretient le patriotisme, le sens droit, le travail. Elle explique comment, au milieu des catastrophes qui se sont accumulées sur Paris, la corporation ou plutôt l’armée des chemins de fer a pu rendre tant de services à la défense nationale ».


Quant au personnel de la gare il était soutenu et dirigé par un jeune sous-chef, Mr Regnoul, qui risqua à maintes reprises sa liberté et sa vie et qui, après la paix, devenu chef de gare, sut par sa fermeté et son aménité concilier à la Compagnie d’universelles sympathies.


Malheureusement, au cours des derniers combats livrés contre l’émeute, un incendie allumé par les projectiles échangés entre les troupes régulières et les insurgés se déclara dans le bâtiment de l’Administration, boulevard Mazas, attenant à la gare de voyageurs, et détruisit la plus grande partie des archives de l’exploitation et de la comptabilité. A la faveur du désordre une bande de pillards s’introduisit dans les ateliers de réparation du matériel, refoula les ouvriers à coups de fusil et mit le feu méthodiquement aux ateliers d’ajustage. Le sinistre put être localisé grâce au dévouement des agents qui, malgré le danger auquel les exposait le feu des combattants, travaillèrent pendant trente-six heures à préserver la gare.


Le siège de l’Administration avait été, pendant la Commune, maintenu à Clermont-Ferrand, Une délégation du Conseil était à Versailles. Mr de Nervo, secrétaire du Conseil, dirigeait le service d’ambulance de la rue Saint-Lazare et assurait la liaison entre Paris, Versailles et Clermont. Deux fois, il réussit sous un nom d’emprunt, à franchir les postes des fédérés et, par des voies détournées, à porter à Clermont-Ferrand, dissimulés sous ses vêtements, six millions et demi en billets de banque qu’il importait de soustraire aux recherches des insurgés.


De son côté M. Alphonse Baudin, Secrétaire général de la Compagnie, après de vains efforts auprès des banquiers anglais, trouvait en Suisse, grâce à ses relations personnelles, grâce aussi à l’intervention de Mr Bartholoni, Président du Conseil de la Compagnie d’Orléans, les concours financiers indispensables à la reprise de l’exploitation.


La paix signée, l’insurrection réprimée, la Compagnie qui avait, on peut le dire, vaillamment fait campagne, accepta courageusement sa part du désastre commun.


La paix

Le bilan que Mr le Comte Benoist d’Azy, Président du Conseil, soumit aux actionnaires le 3 août 1871 accusait une moins-value de douze millions dans les produits nets de l’exploitation, et une perte de trois millions et demi en dommages matériels (destruction de ponts, de gares et de clôtures, perte de wagons et d’approvisionnements). La Compagnie avait droit en vertu de la garantie, à une somme d’environ six millions. Elle ne réclama rien.


Audibert chargé, lors du siège de Paris, d’assurer les services en province et de veiller au maintien de l’ordre sur les lignes, avait fait preuve, dans cette pénible mission d’une fermeté et d’une énergie exceptionnelles.


Le Conseil décida, sur la demande de Talabot, de l’associer à la Direction Générale. Mais les épreuves morales et physiques de 1’année terrible avaient profondément altéré sa santé. Il dut prendre un congé. A peine convalescent, il s’empressa de revenir à son poste. Ses premiers efforts l’épuisèrent, il mourut le 31 mai 1873. Talabot, cruellement affecté par cette perte, suffit à tout sans faiblir et donna « ce spectacle surprenant d’un vieillard de soixante-quatorze ans ressaisissant d’une main ferme le gouvernail, et se remettant à l’oeuvre de sa jeunesse avec cette résolution tranquille qui n’a jamais connu les difficultés ».