RGCF octobre 1934 : La soudo-brasure dans les ateliers du PLM
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La soudo-brasure dans les ateliers de la Compagnie PLM, par M. Lavie, Ingénieur principal du Matériel au PLM
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La présente note a pour objet de rappeler très sommairement l’évolution du procédé d’atelier qu’on appelle la brasure et de donner quelques renseignements détaillés sur les derniers progrès très importants réalisés grâce à l’emploi du chalumeau (soudo - brasure).
De tous temps les ateliers PLM ont employé les soudures fortes ou brasures, dites soudures au cuivre ou de chaudronnier. Le brasage était pratiqué soit au feu de forge, soit au chalumeau à gaz ordinaire. Les vieux chaudronniers des ateliers se souviennent encore, qu’on a rabouté autrefois les tubes à fumée en fer ou en acier des locomotives par brasage d’une rallonge en cuivre rouge.
- Vers 1900, il y avait ainsi au PLM 3 titres de brasures réglementaires :
- Le titre 1, pour fer sur fer en général, comprenant :
72,25 % de cuivre, 1,25 % d’étain, 26,50 % de zinc,
- Le titre 2, pour fer sur cuivre et bronze et cuivre sur cuivre et sur bronze comprenant :
60% de cuivre et 40 % de zinc,
- Le titre 3, (le plus tendre, c’est-à-dire le plus fusible) pour cuivre sur laiton ou laiton sur laiton, comprenant :
54,25 % de cuivre, 2 % d’étain, 43,75 % de zinc.
La fusibilité des titres augmentait d’ailleurs régulièrement avec le pourcentage en zinc. La brasure était livrée en grains.
- En 1920, on ne conserva que 2 titres dits soudures au cuivre :
- S.C. 1 composé de 60 % de cuivre, 40 % de zinc,
- S.C. 2 composé de 54 % de cuivre, 2 % d’étain, 44 % de zinc.
- Enfin la Spécification Technique Unifiée inter - réseaux n° 91 du 23 Février 1933 vient de ramener d’ailleurs les soudures de chaudronnier à 2 catégories :
- Soudure jaune forte : 53 % de cuivre, 47 % de zinc,
- Soudure jaune tendre : 49 % de cuivre, 51 % de zinc.
Entre temps, c’est-à-dire de 1900 à nos jours, le développement rapide de la soudure autogène par fusion, rendue possible par les hautes températures obtenues avec le chalumeau oxyacétylénique et l’arc électrique, a relégué provisoirement au second plan les soudures fortes ou brasures, et il a pu sembler que le brasage, à peu près condamné, devait peu à peu disparaître devant les progrès de la soudure autogène. Il n’en a rien été cependant, grâce précisément au chalumeau oxyacétylénique. Le brasage a repris un nouvel essor sous le nom de « soudo - brasure », la flamme très chaude et parfaitement réglable du chalumeau permettant l’emploi de brasures nouvelles, plus résistantes.
Les Américains semblent avoir été les premiers, après guerre, à employer à cet usage le chalumeau oxyacétylénique en utilisant des alliages spéciaux à base de cuivre et de zinc, dont le bronze Tobin et le bronze manganèse Parsons sont des exemples bien connus. Ces appellations méritent en passant une observation. En France, on nomme bronzes les alliages de cuivre et d’étain, et laitons les alliages de cuivre et de zinc. Le bronzé Tobin et le bronze au manganèse Parsons des Américains ne sont donc pas réellement des bronzes, mais bien des laitons, à haute résistance, de compositions un peu plus complexes que le laiton ordinaire.
Voici par exemple une composition approximative donnée par une revue américaine pour le bronze Tobin : Cuivre 59,86%, Etain 0,50%, Zinc 38,94%, Fer 0,45%, traces de phosphore.
S’inspirant de l’exemple des américains, les fonderies PLM fabriquèrent dès 1926 un alliage analogue au Tobin que les ateliers utilisèrent en baguettes brutes de coulée. Toutefois, en 1929, on substitua à cet alliage coulé un nouvel alliage de composition voisine offert par le commerce sous le nom de « métal Brox » et livré sous forme de fils tréfilés donnant de meilleurs résultats.
Il va sans dire que l’industrie française a lancé sur le marché bien d’autres marques de laiton à haute résistance pour soudo - brasure. Mais il apparaît qu’aucun n’a jusqu’ici dépassé le métal Brox pour les facilités d’accrochage et la résistance mécanique. Une bonne soudo - brasure de fonte faite au métal Brox est plus résistante à la traction que la fonte elle-même, c’est-à-dire que l’assemblage se rompt en dehors de la soudo - brasure.
Quels sont les avantages de la soudo - brasure ? C’est surtout dans la réparation des pièces en fonte grise que ces avantages sont palpables.
La soudure autogène de la fonte demande en effet de grandes précautions pour éviter les déformations à chaud, les ruptures au retrait et les zones trempées inusinables. Elle exige notamment le réchauffage préalable au rouge de la pièce dans un four, et son refroidissement très lent après soudure. C’est le procédé classique employé pour les cylindres, de locomotives et qui a d’ailleurs rendu des services précieux. L’opération est sûre, mais longue, pénible et coûteuse; elle ne peut être pratiquée couramment que sur des pièces démontées, bien qu’il soit possible à la rigueur de réussir sur place certaines soudures de pièces d’importance variable ou même de cylindres, en construisant tout autour un four de fortune.
La soudo - brasure permet au contraire la réparation des pièces en fonte sans préchauffage dans la majorité des cas parce que, le métal rapporté ayant un faible retrait et un allongement important, ne donne pas lieu à fissurations et reste toujours usinable après refroidissement rapide. De plus, la soudo - brasure pouvant être exécutée dans toutes les positions, évite, dans la majorité des cas, le démontage de la pièce à réparer; elle permet aussi de redonner plus facilement à la pièce une forme aussi voisine que possible de la forme primitive, ce qui réduit au minimum le travail d’usinage après soudure. Enfin les pièces n’étant pas chauffées au rouge se déforment moins qu’en soudure autogène. Pour toutes ces raisons, la soudo - brasure est moins coûteuse que la soudure autogène de la fonte, et plus rapide.
D’ailleurs, ce procédé de réparation est absolument indiqué dans certains cas, par exemple toutes les fois qu’il s’agit de fonte malléable américaine ou à coeur noir (c’est-à-dire non décarburée), car le graphite en nodules de cette fonte s’opposerait, à la soudure autogène et la fusion modifierait entièrement la structure en reformant de la fonte blanche très fragile. La soudo - brasure réalise au contraire un assemblage réellement solide, à la condition d’effectuer, l’opération sans dépasser sensiblement le rouge sombre. Le procédé est également très recommandable pour la réparation des pièces en fonte malléable européenne ou décarburée, car il obvie à la trempe du métal.
- Les résultats actuellement obtenus dans les ateliers PLM sur de nombreuses pièces en fonte ou en acier sont des plus intéressants. Pour ne citer que les ateliers d’Oullins, on constate qu’au cours de l’année 1933, sur 105 réparations de cylindres de locomotives, 8 seulement ont dû être exécutées par soudure autogène à la fonte, contre 97 par soudo - brasure se répartissant en :
- 66 réparations dans les dépôts,
- 31 réparations aux ateliers d’Oullins.
D’ailleurs, sur ces 31 dernières réparations, 17 ont été faites sans démontage du cylindre et 14 après démontage. La réparation au métal « Brox » des cylindres démontés peut être encore plus avantageuse que la soudure autogène, parce que la dépense plus grande de métal d’apport est largement compensée par l’économie des dépenses de chauffage au four et d’usinage.
En résumé, les ateliers PLM réparent maintenant sur place dans les dépôts une grande partie des cylindres de locomotives rompus, réalisant ainsi des économies considérables de démontages et supprimant de longues immobilisations de locomotives. D’autre part ces ateliers remettent en service journellement une très grande variété de pièces diverses en fonte grise ou en fonte malléable, parmi les plus importantes desquelles on peut citer : les bâtis de grues, cuves de cabestans, cuves de bascules, plaques tournantes, pièces de pilon et de machines-outils, etc...
Les figures 2 et 3, montrent un cylindre avant et après réparation, le cylindre étant resté en place.
La figure 4 montre une pompe à air sur laquelle une fissuration se révéla après montage complet de l’appareil et qui fut réparée sans aucun démontage. La réparation des couvercles de ces pompes s’effectue d’ailleurs couramment sans démontage du fourreau, évitant ainsi son remplacement.
Il serait intéressant de décrire en détail la technique spéciale de la soudo – brasure. La place étant limitée, nous nous bornerons à dire qu’on prépare la pièce par chanfreinage comme dans le cas de la soudure autogène, et qu’on la nettoie parfaitement. Le sablage est le procédé qui convient le mieux pour ce nettoyage; il enlève toute trace superficielle de graphite, métalloïde onctueux qui ferait obstacle à la prise et à la solidité de la brasure. Il doit être effectué immédiatement avant la soudure de façon qu’on puisse appliquer aussitôt une pâte décapante généralement à base d’acide borique et de borax. Il est difficile de fixer un mode opératoire uniforme, chaque pièce faisant l’objet d’un cas d’espèce qu’il convient de traiter différemment. Toutefois, on peut dire que le Brox est généralement déposé sur une petite longueur (fonction de l’épaisseur) au fond et sur les lèvres du chanfrein, puis apporté dans la partie centrale. Si l’on remarque que la température de fusion du Brox est d’environ 880° et que la température de mouillage de la fonte est comprise entre 650 et 750° (rouge sombre et rouge cerise) on conçoit le tour de main nécessaire pour obtenir simultanément ces diverses températures. L’opérateur doit en effet protéger, le chanfrein en plaçant constamment la baguette entre l’arête de ce dernier et le dard du chalumeau, de façon à éviter un trop grand échauffement de la fonte qui nuirait à l’accrochage. Une bonne précaution consiste d’ailleurs à arrondir légèrement les arêtes vives du chanfrein de façon à éviter leur échauffement trop rapide. Il doit en outre réaliser une bonne soudure autogène entre le métal d’apport fondant vers 880° et le métal déjà déposé. Dans certains cas particuliers ou l’on craint un échauffement trop rapide, il peut y avoir intérêt à déposer au début une mince couche générale de Brox comme s’il s’agissait d’un simple étamage superficiel, puis à procéder ensuite par rechargements successifs.
Il y a lieu de noter que les soudo - brasures sont solides et durables. Considérées au début par les Américains comme des soudures de fortune n’ayant qu’un caractère provisoire, elles semblent maintenant très bien supporter les efforts de durée et les efforts répétés. Une fourche de tracteur à accumulateurs réparée en 1926 avec du pseudo bronze Tobin est encore en service aux ateliers d’Oullins malgré le travail important assuré par ce véhicule. Sur les 250 cylindres simples ou doubles réparés pour les ateliers d’Oullins depuis 1930, il n’a été fait jusqu’ici aucune remarque défavorable concernant la tenue en service, ceci malgré l’importance de certaines réparations qui comprenaient parfois jusqu’à 1 mètre de cordon de soudo - brasure.
Ce mode de réparation présente donc un intérêt considérable mais la simplicité n’est qu’apparente, et son exécution délicate. Il exige d’être pratiqué par des soudeurs entraînés, habiles et consciencieux, groupés sous la direction d’un agent dirigeant spécialisé apte à prendre toute décision nécessaire si quelque incident vient à surgir au cours de l’exécution du travail. C’est à ces conditions seulement qu’on n’éprouve pas de déboires.